mercredi 30 janvier 2019

281 - La bague soustraite


Chanson d'amour ou de badinage, la relation qu'elle nous décrit entre les deux amants ne paraît pas très sérieuse. Mais peut être avez vous comme une impression de déjà entendu. En fait, les trois premiers couplets se retrouvent mot pour mot dans une autre chanson qui, au final, ne raconte pas du tout la même histoire. Elle exprime habituellement le refus des parents d'accorder leur fille, trop jeune, à un galant à qui on demande de patienter. Il n'est pas question de cet argumentaire ici. Les deux amoureux sont déjà passés à l'acte et leur querelle a un tout autre motif.
Pour écouter la chanson et lire la suite :


Cette aventure amoureuse a été notée en 1945 à Quimiac, sous le titre « la fille volage ». Nous l'avons trouvé dans les archives de Bernard de Parades qui collectionnait toutes les chansons où apparaît la ville de Nantes (1). Elle a aussi été signalée par Fernand Guériff dans le tome 4 de ses collectes où il publie une autre version sous forme de bal à quatre sauts, entendue à la Madeleine (Guérande). Enfin, Gustave Clétiez en avait déjà recueilli le texte dans la presqu'ile guérandaise au siècle précédent. Pour autant, il ne faudrait pas croire que c'est une chanson locale. Elle a été plus souvent collectée sur la côte atlantique, du Morbihan à Noirmoutier. Mais Garneret (2) en a publié une version recueillie dans le Doubs.
La formule « dormez vous sommeillez vous belle ? » se retrouve dans bien d'autres chansons où les amoureux profitent de l'obscurité et du sommeil des parents pour se retrouver.
Patrice Coirault (3) y voit une simple querelle d'amoureux ; le galant vantard et débauché se glorifie de son inconstance en amour et de sa fidélité à la bouteille. Il précise : « l'ancienneté de la chanson résulte d'un pot pourri publié au début du 18è ». Nous avons peut-être là l'origine de ce mélange de couplets entre plusieurs chansons.
La fille a elle aussi beaucoup d'amants. Mérite-t-elle plus le qualificatif de volage que son galant dont la vantardise se traduit par un chiffre (40 ou 50) qui n'a rien de précis mais indique seulement un grand nombre dans l'imagination populaire. Ses « exploits se situent toujours entre Paris, ou Bordeaux, et Nantes. C'est pratique pour la rime : Nantes – quarante, mais pas seulement.
Paris, Nantes, Bordeaux, nous tenons là les trois villes les plus chantées dans la tradition. Cela n'a sans doute rien d'un hasard puisqu'à l'époque où ces chansons ont pris leur source (ou ont été publiées pour la première fois) ces trois villes étaient des lieux d'échanges et d'activités économiques les plus importants. C'est une autre histoire sur laquelle nous prendrons le temps de revenir.
Pour ce qui est de notre chanson, on ne sait si elle finit bien ou mal. Le galant est-il définitivement éconduit ? Ou bien son dernier argument lui vaut-il le pardon ? La fille est elle vexée de n'être que la dernière en date de ses conquêtes ou est-elle sensible à d'autres arguments ? La relation entre les deux est elle sincère ou basée sur des sentiments superficiels ? Nous vous laissons méditer toutes ces questions et faire votre propre opinion.
Un dernier indice pour vous y aider : nous le puisons dans la version publiée par Garneret, dont nous avons déjà parlé. On y trouve ce couplet supplémentaire :
Jamais mon cœur n'aimera que vous
J'ai cent écus dans ma boursette
tandis que l'argent durera
jamais l'amour ne finira
Sans commentaires !

notes
1 – pour un projet intitulé « Nantes la bien chantée » que nous reprenons actuellement. A suivre dans la rubrique « actualités ».
2 - Jean Garneret et Charles Culot, chansons populaires comtoises, 1971 – tome 2 , page 528
3 - Patrice Coirault, Formation de nos chansons folkloriques, 1955 – tome 2, page 234

interprète : Jean-Louis Auneau
source : chanson notée à Quimiac en août 1945 – répertoriée par Bernard de Parades
catalogue P. Coirault : la bague soustraite (Dissensions 1 – 02509)


Là quand j'étais petite fille
A l'âge de quinze ou seize ans
J'faisais l'amour passer mon temps

Les beaux galants venaient me voir
Entre les onze heures à minuit
A la fenêtre de mon lit

Dormez vous, sommeillez vous belle
Si vous dormez réveillez vous
C'est votre amant qui parle à vous

Non je ne dors ni ne sommeille
Toute la nuit je suis en rêve
Toute la nuit je pense à vous
Mon cher amour approchez vous

La, je me suis approché d'elle
Faisant semblant de l'embrasser
Les anneaux d'or je lui ai retirés

Galant, galant rends moi mes bagues
Rends moi les anneaux de mes doigts
Galant, ne pense plus à moi

J'ai bien fait l'amour à quarante
Depuis Bordeaux, à v'nir à Nantes
Et de Nantes à venir à vous
Jamais je n'aimerai que vous


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire