L'histoire d'une femme à qui on
enseigne comment empoisonner son mari fait immédiatement penser à
la complainte italienne Dona Lombarda. Bien qu'elle soit assez
peu présente dans la tradition française, elle a été popularisée
par le groupe Malicorne, dans les années 80 sur la base d'une
version originaire du Cantal.
Pas de Dame Lombarde dans notre
chanson ; pas de roi revenant de la chasse ni d'enfant au
berceau qui parle miraculeusement. Pourtant nous avons à faire au
même procédé que dans la complainte italienne, si ce n'est que la
fin est plus morale et moins dramatique.
Pour écouter la chanson et lire la
suite :
Cette chanson a déjà été publiée
dans le double CD « les grandes complaintes » (1) où
elle était chantée par Mathieu Hamon qui la tenait d'Eugénie
Corbillé, de Crossac en pays briéron. Nous n'avons pas grand chose
à ajouter aux commentaires de Robert Bouthiller dans le livret qui
accompagne ces disques. Toutefois, comme cet ouvrage est aujourd'hui
épuisé et que vous n'avez peut être pas eu la chance de vous le
procurer, en voici un résumé.
La première collecte de cette chanson
en Bretagne a été réalisée par Raphael Garcia chez M. Félix
Aoustin, à Saint-Joachim et publiée dans un recueil de chansons du
pays nantais (2). Deux autres versions ont été retrouvées, dont
celle ci, dans la même zone géographique.
« Cette concentration
territoriale de versions quasi identiques où l'empoisonneuse renonce
à son projet est étrange. Le dénouement neutralise l'histoire, ce
qui est inhabituel dans les chansons de tradition orale. S'agirait-il
d'une déformation locale du thème de « Dame Lombarde »
ou, au contraire d'une chanson indépendante, ce qui pourrait être
étayé par une légère différence de coupe?Dans la première
hypothèse, pourquoi et comment le motif central du nouveau né qui
parle aurait-il disparu ? Dans la seconde, il faut cependant
considérer que l'obtention d'une recette de poison est un motif
suffisamment rare pour qu'il ne cache pas quelque relation entre les
deux histoires (3) ».
Par rapport à la chanson de « l'enfant
au berceau qui parle pour dénoncer un crime » (4) il manque
donc essentiellement le dénouement. Les deux premiers couplets
semblent provenir d'une autre chanson ou pourraient tout aussi bien
s'y adapter. L'intrigue ne débute réellement qu'au troisième
couplet. Ce sont les voisines qui semblent donner la recette du
potage ; le fameux bouillon d'onze heures ? Mais dans la
version chantée par Félix Aoustin le doute est permis sur l'origine
des conseils. S'agit-il d'une autre femme ou bien d'un homme, ce qui
nous entraînerait dans une situation « d'amants diaboliques »
supprimant le mari gênant ? Nous vous donnons le texte de cette
autre version. A vous de forger votre propre opinion. A noter que
cette chanson utilise un air différent. Le poison y est défini
comme de l'arsenic, un élément minéral qu'on aurait bien du mal à
cueillir et dont la présence dans la chanson est peut-être due à
sa popularisation par une série d'empoisonnements qui ont alimenté
les chroniques judiciaires. Dans la complainte de la Dame Lombarde,
le poison est obtenu par le truchement d'un serpent verde
distillé dans le vin ; une recette plus conforme aux traditions
populaires. En Brière on reste fidèle aux recettes à base de
plantes. Et d'ailleurs l'administration d'un bouillon d'onze heures
n'est elle pas destinée à faire goûter les pissenlits par la
racine !?
notes
1 – Les grandes complaintes :
tradition chantée de Haute-Bretagne - coédition de Ar Men, la
Bouèze, le groupent culturel breton des pays de Vilaine et Dastum
44, en 1998
2 – chants du pays nantais, édité
par le Cercle Breton de Nantes en 1981
3 – extrait des commentaires du CD
« les grandes complaintes »
4 – dénomination retenue dans le
« recueil de chansons populaires » d'Eugène Rolland en
1890
Interprète :
Barberine Blaise
source : Eugénie Corbillé,
enregistrée à Crossac en janvier 1992 par Mathieu Hamon
catalogue Coirault : Le
breuvage empoisonné (Crimes passionnels – N° 09911)
catalogue C.
Laforte : Dame lombarde (II, A-09)
L’empoisonnement du mari
chantée par Eugénie Corbillé
Fillettes qui n'avez pas d'amant (bis)
Hélas la nuit comment dort-elle (bis)
La nuit quand elle pense à dormir
Quand elle pense à dormir la nuit
Peu à peu l'amour la réveille (bis)
Un jour j’allais m’y promener
Ma quenouillette à mon côté
Comme faisaient toutes les autres
femmes (bis)
Les autres femmes elles m’ont dit
Femme, que tu as un laid mari
Pour toi qui est si jolie femme (bis)
Là si tu veux le faire mourir (bis)
Je t’enseignerai le remède (bis)
breuvage
Tiens, v’là les clés de mon jardin
(bis)
Tu iras le long de ces murailles (bis)
Tu y trouveras du lion d’or (bis)
Tu lui feras un bon potage
Tu lui donn’ras ce bon breuvage
Tu lui donneras comme ce soir (bis)
Demain matin il rendra l’âme (bis)
Là puisque Dieu me l’a donné (bis)
Avec lui j’en tiendrai ménage (bis).
Femme que tu as un laid mari
d'après l'interprétation de Félix
Aoustin
Femme que tu as un laid mari
Pour toi qui est si joli femme
Voilà le joli mariage
Si tu veux le faire mourir
Je t'enseignerai le langage
Voilà le joli mariage
Tiens v'là les clés de mon jardin
Tu fileras le long des murailles
Voilà le joli mariage
Tu cueilleras de l'arsenic
Tu lui en feras un breuvage
Voilà le joli mariage
Tu lui en donneras à 11 heures
Et à minuit il rendra l'âme
Belle prend mon petit cœur en gage
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