Un homme à la mer ! C'est un
drame. La chanson qui nous le narre n'a pourtant rien d'une
complainte. Elle fait partie des rondes qui servaient aux
distractions des marins à bord au temps de la navigation à voiles.
Elle a été retrouvée par Fernand Guériff dans la région de Saint
Nazaire. Son origine ne nous est pas connue mais elle était déjà
entendue 150 ans plus tôt dans la royale.
La chanson ne précise pas sur quel
type de bateau elle se passe : navire marchand, navire de
guerre ? Le maître d'équipage y tient le rôle de contremaître
chargé des manœuvres. Il est entre les officiers et les matelots, à
une place délicate dans la hiérarchie ; d'autant qu'ici son
propre fils fait partie de l'équipage.
Pour écouter la chanson et lire la
suite
Cette aventure ne fait pas partie du
répertoire habituel des chansons de marins. A notre connaissance
elle ne figure sur aucun des disques de chants de marins qui ont
proliféré ces dernières années. En dehors de Fernand Guériff,
nous n'avons pas trouvé d'autre édition. Nos recherches ont
pourtant abouti à une première publication dans un numéro de la
revue « L'Illustration » paru en 1844 (1). Elle y sert,
justement, à illustrer un article sur les contes et chansons des
matelots. L'auteur en est Léon Morel-Fatio (2), peintre officiel de
la marine, qui a pu observer les distractions des marins au gaillard
d'avant pendant les traversées effectuées sur des bâtiments de la
Royale. Il y est question des danses des matelots à bord, sur des
chansons telles que celle ci, ainsi que des versions de la fille au
cresson, des trois marins du port de Nantes, ou encore de Mon
père a fait bâtir maison. Voici ces loisirs à bord tels qu'il
les décrit :
« Les rondes, les vraies rondes
de l'avant, voilà le chant populaire. On ne les roucoule pas d'une
voix de rogomme, on les hurle à plein poumons, on les répète en
dansant à la bretonne. Qu'un boute en train se lève et qu'il emmène
avec lui cinq ou six camarades, dès que la chanson sera commencée
vous verrez le cercle s'agrandir et quelquefois un second cercle se
formera autour du premier. Tantôt ils tourneront en rond, plus
souvent ils ne feront que trois ou quatre pas de droite à gauche et
puis de gauche à droite, sautant en cadence au moment du refrain ».
Nous nous inspirons aussi de ses
commentaires pour la chanson elle même.
« Le coup de sifflet précède ou
traduit tout commandement à bord d'un navire de l’État ... mais
d'abord il faut un couplet qui peigne vigoureusement l'état du ciel.
Le diable est en bordée (c'est à dire en vacances). La mer est
mauvaise, le gros temps augmente, le maître d'équipage embouche
donc son sifflet et dit : « en haut ». Prendre le
bas ris, c'est réduire les huniers à leur plus petite surface,
opération toujours dangereuse qui oblige les hommes à s'exposer à
la fureur du vent sur une vergue mobile qu'ébranlent le tangage et
le roulis ; ils n'ont pour point d'appui qu'une simple corde où
reposent leurs pieds et la vergue où porte la poitrine ; les
deux mains sont employées à la manœuvre ».
Voici donc la mise en situation ;
le fils matelot est à l'empointure, c'est à dire l' extrémité de
la vergue, soit le poste le plus dangereux par gros temps. Il tombe à
la mer et nage. Mais le mauvais temps rend impossible d'envoyer un
canot à son secours. C'est quand même cette tempête qui le sauvera
en causant la chute du mat. Pour regagner le bord il se raccroche aux
haubans et aux pataras, gros cordages destinés à étayer le mat et
qui flottent désormais avec lui. Voilà une fin heureuse qui mérite
bien un pèlerinage et peut être un ex-voto à Sainte Anne, patronne
des marins et des bretons. Cela nous suggère une origine bretonne
pour cette chanson. Vous aurez aussi remarqué que, bien qu'il parle
dans son article de navires attachés au port de Toulon, Morel-Fatio
emploie le terme de danses « à la bretonne » pour ces
distractions à bord. Sa description de la danse n'est pas assez
précise pour qu'on en reconnaisse une en particulier. On sait aussi
que la ronde à trois pas était couramment pratiquée par les marins
et sur toutes les côtes. Mais comme cette chanson n'a été publiée
que localement, nous nous sentons le droit d'être un peu chauvins !
notes
1 - L'illustration n° 79 vol. 3 –
samedi 31 août 1844 (source : Google books)
2 - Antoine Léon Morel-Fatio, (Rouen
1810 - Paris 1871) est un peintre officiel de la Marine et homme
politique français. Peintre, dessinateur, illustrateur, graveur,
aquarelliste, il a été conservateur du Musée de marine et
d’ethnographie du Louvre qu'il a créé, conservateur-adjoint des
Musées impériaux, et premier maire du 20e arrondissement de
Paris de 1860 à 1869. (source Wikipédia)
interprète : Nicolas Pinel
source : Fernand Guériff,
Le trésor des chansons populaires folkloriques du pays de Guérande
- volume III, page 325 - édition Dastum 44 et Parc naturel régional de Brière
Le maître d'équipage, bon mirlifa
(bis)
Prend en main son sifflet
refrain
Bon mirlifa, la boutique est par terre
Prend en main son sifflet
Bon mirlifa, la boutique est en bas
Le diable est en bordée, bon mirlifa
(bis)
Qui fait son mardi-gras !
En haut, en haut, le monde, bon mirlifa
(bis)
Le bas-ris tu prendras
Le fils à Maître Jacques / Au grand
hunier monta
J' vas t'à l'empointure / En revenant
en bas
Le maître d'équipage / Fit l'appel et
compta
Un et deux, trois et quatre / Son fils
n'y était pas !
Qui me rendra mon fils / Mon fils, qui
me rendra ?
Fait un vœu à Sainte Anne / Le grand
mât vint en bas
Le fils tirait la brasse / Les haubans,
il crocha
V'là qu'à bord il remonte / Le long
des pataras
Quand nous serons en France / Écoute
bien mon gars
Nous irons à Sainte Anne / À pied,
comme des soldats
Pour y brûler un cierge / Plus gros
que le grand mât.
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