Cette
histoire de servante qui veut se faire coquette a été entendue et
notée un peu partout. Nous avons choisi une version recopiée par
Fernand Guériff, mais on en trouve de nombreux exemples dans nos
archives et dans toute la tradition francophone. Elle est
généralement bien conservée et offre peu de différences d'une
version à l'autre. Sa persistance, malgré son aspect désuet,
tient-elle à son coté moralisateur ? Une morale à double
effet qui insiste autant sur l'artifice du maquillage que sur le
respect des conventions sociales.
Cette
servante qui veut imiter sa patronne ne vous fait-elle pas penser à
une certaine héroïne de bande dessinée ? Cherchez bien.
Pour
écouter la chanson et lire la suite :
Nous
l'avons dit, les différences d'une version à l'autre sont minimes.
La morale est identique et ce ne sont pas les variations du prix du
fard qui importent : de deux écus à six francs la conversion
est facile. Ce qui est plus intéressant ce sont les petits noms que
le bien aimé lui donne dans l'avant dernier couplet. Ici elle se
contente d'être « la belle » mais souvent elle est
désignée comme la « blanche coquette » ou la franche ou
folle coquette. Ce terme ancien contient à la fois le désir de se
faire belle pour plaire (coquetterie) mais aussi un aspect plus
péjoratif de séductrice ou de femme frivole.
Revenons
à la morale de cette histoire :
Il
n'appartient qu'aux dames de se farder
Cette
sentence contient en fait deux avertissements. Le premier c'est que
le maquillage n'est pas fait pour les jeunes filles ordinaires.
Jusqu'à une époque pas si lointaine il était considéré comme
l'apanage des femmes de mauvaise vie pour ne pas dire pire. Un autre
exemple de cette chanson, collecté à Bouvron (1) est très
explicite à ce sujet :
C'est
un péché de se farder
et
pour vous le faire éviter
je
vous ai donné du cirage...
...déclare
l'apothicaire (2).
On
sent dans cette insistance sur l'artifice du maquillage le souci des
parents pour toutes ces jeunes filles qu'un contexte économique
difficile a conduit à se placer comme domestique, souvent avec les
tentations de la ville. La servante fardée débute souvent par :
Dans
Paris il y a une dame... !
Le
fard, c'est le début de la déchéance morale pour les jeunes filles
du peuple a qui on veut éviter de devenir gourgandines. Mais il en
va tout autrement pour les femmes d'une condition sociale plus
élevée. C'est la le deuxième effet de notre morale. Depuis
longtemps et tout particulièrement sous l'ancien régime les femmes
de la « haute » ont abusé de ce fard qui masque les
imperfections ou les rigueurs du temps qui passe. Il s'agit de tenir
son rang. Pour les autres et en particulier les femmes de chambre,
cuisinières et autres bonnes à tout faire, il s'agit au contraire
de savoir rester à sa place ; donc de ne pas user des artifices
de ses employeurs. Ce sont des conventions sociales qui sont édictées
ici avec en arrière plan l'idée qu'il ne sert à rien de vouloir
s'élever au dessus de son statut social même en imitant les classes
aisées.
De
ce point de vue, notre servante fardée c'est Bécassine ; Les
illustrés pour la jeunesse qui présentaient cette petite bretonne
un peu arriérée dans un monde moderne ne donnaient-ils pas la même
image que notre chanson ? Si un bon dessin vaut mieux qu'un long
discours, une bonne chanson c'est encore mieux.
Cette
version a été chantée à F. Guériff « par Mme
Georgette Priou, d'après sa mère Mme Blondeau, née Angèle
Ménoret à Saint-Nazaire (1874-1946) ». Il ajoute :
« Cette famille Ménoret était venue de l'Anjou, il y a des
chances que cette chanson provienne du fonds angevin importé à
Saint-Nazaire ».
Pour
finir, notons une certaine analogie entre cette chanson et une autre
qui raconte l'histoire de ce moine qui héberge une fille dans sa
cellule (3). Pendant qu'il chante matines elle se barbouille d'encre
en la confondant avec une eau de toilette et tout le monastère
s'écrie « au diable ». L'effet produit est étrangement
le même et renforce bien cette diabolisation du maquillage.
notes
1
– collecte d'Arthur
et Marie Madeleine Maillard chez Margueritte Mabilais à Bouvron (44)
en janvier 1995 – archives Dastum 44
2
- Que l'apothicaire puisse vendre du cirage n'a rien d'étonnant car
ce métier était plus proche du droguiste que du pharmacien dont il
est considéré comme synonyme aujourd'hui.
3
– « le moine et la fille qui se barbouille d'encre » n°
9320 dans le catalogue de P. Coirault et II, O-04 chez C. Laforte
Interprète :
Nicolas Pinel
Source
: Fernand Guériff, Tome III, p. 145-146 - Chansons de Brière, de
Saint-Nazaire, et de la presqu'île Guérandaise.
Catalogue
P. Coirault : le fard de la servante (maîtres et serviteurs
06307)
Catalogue
C. Laforte : 2, C-04 le fard
Il
était une belle dame ou la servante qui se farde
Il
était une belle dame,
Belle,
belle, comme le jour.
Elle
avait une servante
Qu'aurait,
qu'aurait, qu'aurait voulu
Être
aussi belle que sa dame
Ell'
n'a pas pu.
Ell'
s'en fut chez l'apothicaire :
Monsieur,
du fard, en vendez-vous ?
Combien
le vendez-vous donc ?
Six
sous, six sous, mamzell', pas plus.
Donnez-m'en
un' demi-once,
Voilà
l'écu.
Quand
vous s'rez pour vous farder,
Prenez
bien gard' de vous mirer
Eteignez
votre chandelle,
Barbou,
barbou, barbouillez-vous
Et
demain, vous serez belle
Comme
le jour.
Le
lend'main quand il se fit jour(e)
La
belle a mis ses beaux atours,
Elle
a mis sa robe verte,
Son
blanc, son blanc, son blanc corset
S'en
va faire un tour en ville,
Sans
se mirer.
Sur
son chemin a rencontré(e)
Son
cher ami, son bien-aimé
D'où
venez-vous donc la belle,
Si
bar, si bar, si barbouillée,
Car
de loin vous ressemblez
À
la ch'minée.
Ell'
s'en fut chez l'apothicaire
Monsieur,
que m'avez-vous donné ?
J'
vous ai donné du cirage
Pour
ci, pour cirer vos souliers ;
Car
il n'appartient qu'aux dames
De
se farder.
ma mère chantait souvent la servante coquette avec quelques différences de texte mais surtout un air complétement dufférent, on chantait cela dans le Bourbonnais de manière traditionnelle
RépondreSupprimer