Jusqu’à ce qu’un certain Boris ne
se fende d’une lettre pour le président, cette chanson était la
plus connue et la plus reprise de toutes celles qui parlent de
désertion. Ce ne sont pas les textes qui manquent, dans la
tradition, pour conter les aventures du soldat qui abandonne son
régiment. Ce déserteur qui tue son capitaine nous ramène aux temps
de l’ancien régime, bien avant la conscription obligatoire. C’est
une époque marquée par une succession de Louis belliqueux, obligés
de recruter en masse pour leurs campagnes. Le désir de fuir un
quotidien médiocre, l’attrait des voyages ou de l’argent, plus
souvent que les chagrins d’amour, sont à l’origine des vocations
militaires. Par la suite, le désenchantement, la nostalgie et même
l’argent sont les causes de désertion.
Mais bien qu’elle soit classée comme une chanson de déserteur, la véritable intrigue de cette histoire est la rivalité amoureuse entre un soldat et son capitaine. Le titre qui lui est le plus souvent attribué « le capitaine tué par un soldat » est explicite.
Mais bien qu’elle soit classée comme une chanson de déserteur, la véritable intrigue de cette histoire est la rivalité amoureuse entre un soldat et son capitaine. Le titre qui lui est le plus souvent attribué « le capitaine tué par un soldat » est explicite.
Reprenons tout cela dans l’ordre :
pour écouter la chanson et lire la suite
Ce texte est connu dans toutes le
régions de France, de Navarre, d’Italie et plus loin encore. Guy
Béart et Yves Montand l’ont enregistré ; mais d’autres
interprétations ont notre préférence comme celle de Sylvie Berger
dans le Jardin des mystères (1).
Notre version locale vient des
collectes d’Abel Soreau, un habitué de ces pages. D’autres plus
ou moins semblables ont été notées aux alentours et en Haute
Bretagne. Une version en breton existe également, répertoriée sous
le titre « an dezertour ».
Plus qu’une complainte sur le sort
des soldats c’est à un drame passionnel que nous avons à faire.
Le capitaine nargue le soldat avec l’anneau que la belle lui a
remis, remuant le couteau dans la plaie de sa rupture. Ce détail est
absent de certaines versions ce qui en modifie un peu le sens. C’est
une affaire d’honneur qui se règle à coups de sabre et pas
seulement une rébellion de soldat.
La désertion était fréquente dans
les armées de l’ancien régime, où les soldats tenaient parfois
du mercenaire. Des chiffres ?: « le nombre des déserteurs
était considérable. Un soldat sur 4 ou 5 pendant la guerre de
Succession d'Espagne, un sur cinq pendant la plus grande partie du
18e siècle, et encore un sur 10 à la fin de l'Ancien Régime »
(2).
Le soldat qui va être exécuté ne
veut pas qu’on sache pour quel motif. Il préfère qu’on
l’imagine pris par l’ennemi ou mort au combat. Cette
préoccupation était partagée par bien des capitaines. « Beaucoup
d'hommes ont été déclarés morts qui sont en réalité des
déserteurs. Une complicité lie le capitaine qui retient à son
profit la solde du déserteur et les hommes qui se partagent ses
rations ... Le déserteur étant porté disparu, on a parfois la
surprise de le voir réapparaître avec cette mention : avait été
porté mort par erreur». Ce qui nous vaut d’autres types de
chansons au moment du retour au pays. C’est dans ce sens que l’une
des mesures prises pour lutter contre les désertions consistait à
« L'envoy aux maréchaussées des extraits des jugements du
conseil de guerre contre les déserteurs pour les afficher dans le
lieu de leur naissance »(2).
Il nous faudrait sans doute connaître
l’origine exacte de cette chanson pour savoir pourquoi le soldat
est censé être parti pour Bordeaux (3). A noter que neuf fois sur
dix, il y est prisonnier des Anglais ; ce qui est logique en
raison des liens de cette ville avec l’Angleterre. Les versions
collectées sur nos côtes le disent prisonnier des Hollandais. Il
est vrai que les raids hollandais autour de l’estuaire de la Loire
ont laissé de mauvais souvenirs aux populations. Certains en ont
même fait une chanson : « Auprès de ma blonde »(4).
Bien que cette histoire n'ait, à
priori, rien à voir avec la région, il arrive de rencontrer des
couplets qui s'y rattachent :
M'ont pris, m'ont emmené
Dans la ville de Nantes
et ils m'ont condamné...
et ils m'ont condamné...
Dernier détail intéressant :
toutes les chansons de ce type font référence au mouchoir bleu qui
va cacher les yeux. Hormis le fait que cette couleur, la plus facile
à fixer, était très utilisée dans l’industrie textile, ce bleu
a-t-il un sens particulier ? Une symbolique qui nous échappe ?
À vous de nous le dire.
Notes
1 – CD le jardin des mystères –
Eric Montbel et cie – Ulysse productions - 2001
2 - extraits de : Les contrôles
de troupes de l’ancien régime - André Corvisier – T.1 1968 -
édité par le service historique du ministère des armées
3 – plusieurs collectes, toutes de
l'est de la France, mentionnent la ville de Breslau (Wroclaw) pour un
prisonnier des Polonais !
4 - revendiquée par le sieur Joubert
du Collet, enlevé à Noirmoutier et rançonné par des Hollandais.
Mais c’est une autre histoire.
Source : Manuscrit Abel
Soreau air 92, chanté par Pierre Audret, à Crossac, 1906.
interprète : Bruno Nourry
références des catalogues de la
chanson :
Coirault : 6803 le
déserteur qui tue son capitaine
Laforte : 2, A-45 le
capitaine tué par le déserteur
Malrieu : 0723 – an
dezertour
Je me suis engagé par chagrin de ma
mie (Le soldat par chagrin d’amour)
1-)
Je me suis engagé par chagrin de-e ma
mie.
C'est pas pour le-e baiser qu'elle m'a
refusé,
Mais c'est pour l'anneau d'or qu'ell'
me refuse encor'.
2-)
Là-bas, chemin faisant, j' rencontr'
mon capitaine.
Mon capitain' me dit : Où vas-tu
Sans-Souci ?
Je vas dans le vallon, rejoindr' mon
bataillon.
3-)
- Soldat, t'as du chagrin, du chagrin
de ta mie,
Elle vaut moins que toi, la preuve est
à mon doigt.
Tu vois subséquemment, que je suis son
amant.
4-)
Là-haut dans ces verts prés, l'y
a-t'une fontaine,
J'ai mis mon habit bas, mon sabre au
bout d' mon bras,
Et me suis battu là, comme un vaillant
soldat.
5-)
Au premier coup portant, j'ai tué mon
capitaine.
Mon capitaine est mort, et moi, je vis
encor'.
Hélas, avant trois jours, ce sera z'à
mon tour.
6-)
Celui qui me tuera, ce s'ra mon
camarade,.
Il me band'ra les yeux, avec un
mouchoir bleu,
Et me fera mourir sans me faire
souffrir.
7-)
On env'lopp'ra mon coeur, dans un'
serviette blanche.
On l' port'ra z'au pays dans la maison
d' ma mie
Soldats de mon pays, ne l' dit's pas à
ma mère !
8-)
Soldats de mon pays, ne l' dit's pas à
ma mère !
Ah ! dites-lui plutôt, que je suis à
Bordeaux
Pris par les Hollandais, qu'a n' me
r'verra jamais.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire