vendredi 10 avril 2015

100 - Belle, allons y nous promener

Pour la centième publication dans ce blog, il fallait une chanson qui soit à la hauteur. Cette histoire de tueur de femmes désarmé par la ruse et finalement victime du sort qu'il réservait à sa conquête est l'une des plus répandue des ballades tragiques. Sur un thème immuable elle se décline en de multiples versions. Si nous vous avons habitué à comparer entre diverses collectes régionales et francophones, c'est cette fois à tous les coins de l'Europe qu'il faudrait chercher des parentés : de Scandinavie au Portugal et de Hongrie en Ecosse (1)....
Pour se contenter de nos proches contrées, elle est connue essentiellement sous deux titres qui mettent l'accent tantôt sur la cruauté du personnage - le tueur de femmes – tantôt sur sa mort exemplaire – le galant (ou le traître) noyé.
Bien que moins complète que beaucoup d'autres, notre version entendue entre Saint Nazaire et la Brière, présente une originalité : la femme promet à son tourmenteur une fin particulière. Il sera mangé par les poissons !
Pour écouter la chanson et lire la suite


La chute n'est pas toujours aussi facile que pourrait le laisser croire notre texte. Dans bien des cas l'homme se raccroche à une branche et la femme doit s'emparer de son épée pour la couper. Quand ce n'est pas tout simplement pour la lui passer par le corps. Nous avons ici à faire à une version plus « soft ».
Renaud le tueur de femmes peut passer pour un des avatars de Barbe Bleue. Plusieurs chansons font allusion à treize femmes qui auraient déjà subi le même sort. La ressemblance avec notre tristement célèbre Gilles de Rais pointe d'ailleurs dans une version notée par Millien dans le Nivernais qui débute ainsi :
allons ma mie nous promener dans la prairie de Nantes
allons y donc nous promener en attendant le déjeuner...
Mais, d'après les nombreuses études publiées sur le sujet, la filiation de ce texte est encore beaucoup plus ancienne. Doncieux (2) y voit une résurgence de l'histoire biblique de Judith et Holopherne. C'est à dire de la revanche du faible sur le fort, personnifiée par un mâle agresseur qui devient la propre victime de ses plans criminels.
C'est, en tout cas, une chanson qu'on prend beaucoup de plaisir à interpréter, avec sa finale héroïco-tragico-comique. Ce qui pourrait expliquer son succès international et sa durée dans le temps.

Notes
1 – la chanson « Lady Isabel and the elfin knight » ou « the outlandish knight », correspond pratiquement en tous points.
Conrad Laforte a recensé 114 versions francophones différentes, dont 63 rien qu'au Canada.
2 – le « romancero populaire de la France » de Georges Doncieux date de la fin du 19ème ; mais c'est une compilation toujours utile.

Source : Fernand Guériff , dans le Trésor des chants populaires folkloriques du Pays de Guérande, vol. 3, page 239 - Chanté par M. Delvigne, à Prézégat, en 1937. récolte Gaston Le Floc'h
interprète : Dominique Juteau, avec Jean-Louis Auneau et Daniel Lehuédé
catalogue P. Coirault : Le traître noyé (Crimes passionnels - N° 09811)
catalogue C. Laforte : Renaud, le tueur de femmes (II, A-05)

Belle, allons-y nous promener
(Le tueur de femmes)

Belle, allons-y nous promener le long de la rivière
Belle, allons-y, belle allons donc, bien du plaisir nous prenderons

Il ne fut pas à mi-chemin qu’la belle demande à boire
Avant de boire de ce vin blanc, belle, il faut goûter de ton sang

Amant, puisqu’il me faut mourir, délasse ma chaussure
Délace moi, délace moi, amant, pour la dernière fois

Le bel amant s’mit à genoux pour délacer la belle
Un coup de pied lui a donné, dedans la mer elle l’a jeté

Qui donc la belle te conduira au château de ton père (bis)
Ce n’est pas toi, méchant garçon, car les poissons te mangeront (bis)

Petits poissons, accourez tous, mangez donc ce jeune homme (bis)

Mangez- le bien, mangez-le tout, pour qu’il ne revienne plus chez nous (bis)

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