Y-a-t-il crime ou accident ? C'est
la question sans vraie réponse que pose cette chanson publiée sur
feuille volante vers la fin du 19ème siècle. Ce fait divers a tenu
en haleine le public nantais à une époque où les chansons
servaient à relater sous forme de mélodrame ce qui ferait
aujourd'hui un titre du journal télévisé. La relation des faits
sous cette forme permettait une certaine fantaisie dans le détail et
quelques pointes d'humour. La forme n'échappe pas à la règle du
genre : crime et châtiment, avec une insistance particulière
sur la condamnation du criminel et une morale propre à rassurer le
bon peuple avide de sensations.
Comme la majorité des complaintes
criminelles, celle ci se chante « sur l'air de Fualdès » ;
un timbre qui connut un succès inégalé des années 1800 jusqu'à
la première guerre mondiale. Cette histoire lamentable nous permet
d'ouvrir une parenthèse dans la tradition orale, même si la
diffusion de feuilles volantes reste une forme de tradition orale
puisque destinée aux chanteurs des rues et à leur auditoire.
écouter la chanson et lire la suite
écouter la chanson et lire la suite
Nous n'avons pas réussi à obtenir
plus de précisions sur ce fait divers. Une recherche chronologique
dans les journaux nantais serait fastidieuse. Seuls quelques détails
permettent de le situer dans le temps, comme une référence à la
chanson de Pandore (1) par exemple. La version que nous avons
enregistrée sert d'illustration musicale au musée de l'Erdre à
Carquefou (2) . Elle n'est qu'un résumé de la version originale et
de ses 48 couplets !
Depuis l'assassinat du procureur
Fualdès à Rodez en 1817 bien des complaintes criminelles ont été
composées sur le même modèle et le même timbre.
Ces complaintes présentent toujours
les mêmes caractéristiques : une accroche, du genre « écoutez
peuple de France... », destinée à capter l'attention des
auditeurs. Ensuite un descriptif assez banal de la situation, suivi
d'une dramatisation croissante jusqu'à l'exposé du drame lui même.
La recherche du détail sordide est aussi une constante de ces
chansons. La mort de Fualdès avait placé la barre très haut dans
ce domaine. La tenancière de l'établissement fatal y recueillait le
sang de la victime dans un baquet « y mettant un peu de son, ce
sera pour mon cochon ».
Dans les mystères de l'Erdre, le sordide est atteint avec l'autopsie de Constance. L'auteur de la chanson a-t-il voulu choquer les auditeurs ou simplement faire un bon mot ? Voilà un mystère de plus.
Dans les mystères de l'Erdre, le sordide est atteint avec l'autopsie de Constance. L'auteur de la chanson a-t-il voulu choquer les auditeurs ou simplement faire un bon mot ? Voilà un mystère de plus.
Le timbre est aussi facile à versifier
qu'à chanter. C'est sans doute ce qui explique sa reprise fréquente
pour ce type de chansons. Sa diffusion était assurée depuis
longtemps grâce au retentissement de l'affaire Fualdès. Elle fut
l'une des plus grandes énigmes criminelles de l'histoire à cause de
ses zones d'ombre propices aux débordements de l'imagination. Des
relents politiques et des erreurs de procédure ayant ajouté à la
confusion, le coté tragi-comique du genre était assuré d'un succès
qui s'est poursuivi jusqu'à l'invention de la TSF et du journal
parlé. Sur le modèle de Fualdès ce sont des dizaines de
complaintes qui ont été composées sur des événements de portée
parfois simplement locale. Les archives de Dastum 44 en recensent
plusieurs rien que pour la Loire-Atlantique.
Pour terminer, ajoutons que le titre
« air de Fualdès » donné à ce timbre a supplanté
celui de l'original, composé sur l'air de la « complainte sur
la mort du maréchal de Saxe », qui date du 18ème.
Ajout du 9 juillet 2015: Le mystère de l'Erdre enfin résolu !
Ajout du 9 juillet 2015: Le mystère de l'Erdre enfin résolu !
Nous en savons aujourd'hui un peu plus
sur la chanson « les mystères de l'Erdre ». Nous devons un grand merci à Maxou
Heintzen (3), infatigable chercheur et grand spécialiste des
complaintes criminelles, grâce à qui l'affaire a pu être datée et
précisée.
Au cours de ses recherches, Maxou a
retrouvé la feuille volante à la BNF, où elle porte le cachet du
dépôt légal 1884. Des précisions importantes sont données par la
presse de l'époque, comme vous pourrez le voir sur cet article du“Petit Parisien” du 7 juin 1884 (l'article débute en bas à
gauche)
Voilà donc les indications qui nous
manquaient : le crime a eu lieu le 18 janvier 1884. Le procès s'est
tenu début juin, et la feuille volante (qui cite le jugement) a été
imprimée dans la foulée . L'article suggère le mobile du crime :
Constance était enceinte de trois mois et Donatien n'avait aucune
intention de l'épouser.
Après sa condamnation, Donatien Hémion
a été transporté en Nouvelle Calédonie (4).
Notes
1 – chanson de Gustave Nadaud
composée sous le second empire : « brigadier, répondit
pandore, brigadier vous avez raison... ». Le couplet des
mystères de l'Erdre qui fait dire à un gendarme « brigadier
vous avez tort » figure dans la version intégrale mais n'a pas
été enregistré ici.
2 - à visiter : Rue Augustin
Fresnel, Carquefou – renseignements sur le site du musée
3 – Jean-François « Maxou »
Heintzen, musicien du groupe la Chavannée, est l'auteur de la
rubrique Pattes de mouches et rats d'archives dans la revue
Trad'magazine. Il se définit lui même comme membre de
« l’université de Cherchologie du Centre » et est, en
fait, titulaire d’un doctorat d’histoire sur les pratiques
musicales des milieux populaires dans le centre de la France.
4 - d'après la base de données qui
recense les dossiers individuels des condamnés aux bagnes coloniaux,
conservés aux Archives nationales d'outre-mer.
Chanson publiée sur feuille volante
Version arrangée pour l'enregistrement
interprètes : Liliane
Berthe (chant) Jean-Louis Auneau (concertina)
Il
est arrivé sur l’Erdre
Un
tragique événement.
Il
s’agit de deux amants,
Dont
l’un périt sous les herbes…
Ce
qui mit sans d’ssus dessous,
Nantes,
Bougu’nais et Carquefou.
Donatien
aimait Constance,
Constance
aimait Donatien.
Donatien
l’aimait-il bien ?
On
peut en douter d’avance,
Car,
après c’qui s’est passé,
Ca
peut être controversé.
Or,
il advint qu’un dimanche,
Le
treizième jour de janvier,
Les
voilà partis à pied
De
Bougu’nais allant sur Nantes ;
Ils
traversent pour deux sous
La
Loire, dans l’bac de Trent’moult
Si
nous allions voir Peau d’Ane,
Dit
Constance à Donatien,
Paraît
qu’c’est très chic… ou bien
Arrêtons-nous
place Bretagne.
Allons
plutôt chez Levreau,
Nous
lui louerons un bateau.
On
part, on rit, on s’amuse,
Ils
rigolent tout leur saoûl ;
Ils
s’arrêtent pour boire un coup,
Ils
visitent la cambuse
Des
restaurateurs de r’nom,
D’la
Chapelle et d’son ponton.
Ils
y mangent de la friture,
Ils
y boivent du vin clairet,
Ils
se r’passent le pichet,
Ils
r’demandent de la bouture,
Si
bien que le jour a fui,
Et
qu’on est en pleine nuit.
C’est
là que l’horreur commence,
Tous
mes sens en sont glacés.
Après
tant d’instants passés
Dans
la joie et l’abondance,
L’Erdre
de change en linceul,
Et
Donatien revient seul.
Levreau,
qui n’voit plus Constance,
En
est dans l’étonnement.
« Ah ! qu’il dit, mon garnement,
« Ah ! qu’il dit, mon garnement,
Qu’as-tu
fait d’ta connaissance ? »
« Bah ! qu’lui répond Donatien,
« Bah ! qu’lui répond Donatien,
J’lai
laissée chez son parrain. »
Et
pour lui fermer la bouche
Il
lui offre deux tournées de vin
mais
Levreau qu'est un malin
Et
qui flaire que'que chos de louche
Mine
de rien va tout conter
dans
l'oreille de l'autorité
Bientôt
une clameur s’élève,
Y’a-t-il
crime ou accident ?
L’ont
fourre mon Donatien d’dans,
On
le terre comme un lièvre.
Le
geôlier enthousiasmé
S’écrie :
« encore un d’pincé ! »
En
vain durant trois semaines,
L’on
a fouillé en tous sens.
L’père
promet un billet d’cent,
A
celui qui lui ramène
Sa
pauvre enfant disparue
D’une
manière si imprévue.
L’pêcheur
Vier dit : « pas la peine,
Que
chacun garde son argent,
J’y
vais de suite, c’est urgent.»
Il
donne un grand coup de senne,
Le
ciel seconde ses efforts,
Et
l’on voit flotter le corps.
Les
médecins examinent
S'il
y a ecchymose au cou
Ou
s'il y a trace de coups
Tout
au long de la victime
A
part un certain contact
Ils
trouvent le corps intact
En
ville, on jase, on pérore,
De
la loge jusqu’aux toits ;
Les
crieurs sont abois,
Leurs
dépêches se dévorent,
Les
journaux s’vendent un prix fou,
De
Bougu’nais à Carquefou.
Nous
voici en cours d’assise,
Donatien
est tout penaud.
Malgré
qu’il se soit fait beau
Et
qu’il ait soigné sa mise,
Il
n’a plus son air fendant
Et
rit tout jaune en dedans.
Il
défile devant la barre
Des
quantités de témoins.
Les
uns ne se rappellent point,
Les
autres confusément narrent ;
Si
bien qu’l’affaire est maint’nant,
Plus
obscure qu’auparavant.
Enfin,
le jury s’prononce,
L’président
rend son arrêt…
Quinze
ans de travaux forcés,
Qu’sans
ménagement il annonce.
Y’a
d’quoi fair’ choir à l’envers
Le
mortel le plus pervers
Et vous, mères de famille,
Parents, qui m’écoutez tous,
Gardez bien auprès de vous,
Vos enfants, surtout vos
filles….
Mêm’ quand ils seraient
cousins,
On
n’sait jamais leurs desseins !
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