Ça s'est passé un 20 novembre et on
en a fait une chanson. Elle n'est pas traditionnelle au sens que nous
employons habituellement. Elle est plus proche de la définition
d'une folk song telle que Woody Guthrie (1) la décrivait : «
si un bateau coule ou qu'un train déraille près de chez vous et que
vous écrivez une chanson là dessus.... ».
Justement dans celle ci il est question
de train et d'un déraillement évité de justesse. La présence
d'esprit d'un certain Barrault, garde barrière, y est pour beaucoup.
Mais cette chanson est aussi liée à un pan de l'histoire locale et
aux premières manifestations de groupes autonomistes bretons.
L'année 1932 a été fertile en
incidents, à Vannes, Rennes et au lieu ici choisi comme le symbole
d'une « frontière franco-bretonne ». Ingrandes est en
effet la dernière gare en Maine et Loire sur la ligne de chemin de
fer de Paris à Nantes.
Le timbre de la chanson est celui de la
fille du bédouin (2), très populaire au début des années 30.
pour en savoir plus et écouter la
chanson :
Un attentat a déjà eu lieu à Rennes
le 7 aout 1932 : Dans la nuit, à la mairie de Rennes, un
monument représentant la Bretagne s'unissant à la France est
détruit par explosion. L'attentat qui n'a pas fait de victimes, est
revendiqué par un mystérieux groupe « Gwenn ha Du ».
Une chanson en breton imprimée sur feuille volante, relate
l'événement (3) .
Profitant de la visite du président
Herriot à Nantes en novembre pour commémorer l'acte d'union de la
Bretagne à la France, le groupe autonomiste récidive. Une chanson a
donc été composée là aussi sur cet incident. Elle a connu une
diffusion encore plus confidentielle, probablement très locale. Une
adhérente de l'association Dastum 44 a retrouvé ce texte
dactylographié, à l'occasion d'un déménagement, au fonds d'un
tiroir.
La chanson relate assez fidèlement le
fait divers. Pour vous en convaincre, voici quelques extraits des
témoignages repris par les quotidiens du 21 novembre 1932 qui, comme
le « Petit Journal », titrent sur l'attentat d'Ingrandes.
Le « Matin » donne la
parole au principal témoin : « J'ai nettement perçu,
nous dit M Barrault, les deux explosions qui se succédèrent à
quelques minutes d'intervalle. Je suis sorti aussitôt, armé d'un
revolver, et je suis allé prévenir un employé de la gare. Tous
deux, nous avons marché le long des rails vers Champtocé. La voie
est en ligne droite sur un parcours de deux kilomètres. Nous avons
alors remarqué une lanterne rouge posée entre les deux rails, puis
à 600 métres, une seconde lanterne, allumée, tournée vers l'autre
sens... Nous avons fait stopper les trains dans les deux sens, car
trois trains de voyageurs devaient passer à quelques minutes
d'intervalle. »
On découvre alors deux rails
sectionnés sur 20 à 30 centimètres. Le journal précise que les
malfaiteurs ayant allumé le cordeau de mise à feu seraient partis
précipitamment sans emporter les deux lanternes. Ce qui permettra au
Canard Enchainé de titrer « on est sur la piste du lampiste ».
La piste est en fait celle d'une
voiture entendue par des témoins, dont Barrault. L'explosion ayant
provoqué des dégâts limités, le Matin se demande, comme la
police, « s'il ne s'agit pas d'un geste des prétendus
autonomistes bretons, et que ceux-ci n'aient simplement visé, en
rendant la voie ferrée impraticable pendant de longues heures, qu'à
empêcher M. Herriot d'arriver à Nantes assez à temps pour y
participer aux fêtes dont il devait rehausser l'éclat de sa
présence ». Des membres du groupe Gwen ha du, arrêtés le
jour même à Nantes seront ensuite relâchés !
Revenons en à l'épilogue de notre
chanson. Il est confirmé par l'article du quotidien : « A
20 heures, M. Herriot, qui rentrait à Paris, a profité de l'arrêt
de l'express à Angers pour se faire présenter et féliciter le
garde-barrière Barrault dont l'intelligence et l'initiative ont
probablement évité une catastrophe, car le peu de visibilité des
feux rouges qui avaient été placés sur la voie n'aurait pu attirer
l'attention des mécaniciens du train de voyageurs qui devait passer
quelques instants après l'explosion ».
notes
1 – et aussi : « la
plupart des chansons qui durent le plus longtemps sont les ballades
qui racontent une histoire à partir des nouvelles du jour » -
extraits de Cette machine tue les fascistes de Woody Guthrie (1912 -
1967)
2 - Chanson de l'opérette Comte
Obligado créée en 1927 par Georges Milton ; Paroles et
musique de Raoul Moretti et d'André Barde. Pour en savoir plus
branchez vous sur le site incontournable du temps des cerises auxfeuilles mortes
3 - « chanson nouvelle au sujet
du forfait de Rennes du 7 août 1932" – imprimée à Morlaix ;
auteur anonyme.
auteur inconnu – année 1932
sur l'air de la fille du bédouin
interprètes : Liliane Berthe
(chant) Jean-Louis Auneau (concertina)
la chanson du garde-barrière
Y avait dans ce pays là
un garde-barrière
qui surveillait ce jour là
la voie du ch'min d' fer
Et quand dans un train passa
tout un ministère
sans manière
sur la terre
une bombe éclata
Et le pauvre Barrault
qu'était bien au chaud
au fond de sa guérite
S'dit, ça c'est pour Herriot
on veut c'est ballot
lui casser sa pipe
Mais v'là que tout à coup
un deuxième coup
lui coupant la chique
il empoigne son drapeau
il met ses sabots
pour sauver Herriot
Ça doit être se dit-il
des autonomistes
J'entends une automobile
suivons en la piste
Alertons au bout du fil
le téléphoniste
Qu'des lanternes
assez ternes
signalent l'attentat
Et le pauvre Barrault
qu'était bien au chaud
au fond de sa guérite
dut subir mille assauts
maudissant Herriot
maudissant sa pipe
Répondre successivement
à deux cents agents
à plus de trois cent types
pendant qu'le président
passait tranquillement
sur le lieu de l'accident
Mais le soir le président
en revenant de Nantes
Après un repas épatant
tapant sur son ventre
lui dit pour ton dérangement
j'm'en vais te faire une rente
de mille balles d'capital
quarante francs par an
Et le pauvre Barrault
laissant ses sabots
au fond de sa guérite
Pour remercier Herriot
Y offrit du perlot
pour bourrer sa pipe
Il hurla très content
Vive le président
Vive la république
et vivent les bretons
vive leur explosion
et vive le pognon !
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