vendredi 21 novembre 2014

81 - La chanson du garde-barrière

Ça s'est passé un 20 novembre et on en a fait une chanson. Elle n'est pas traditionnelle au sens que nous employons habituellement. Elle est plus proche de la définition d'une folk song telle que Woody Guthrie (1) la décrivait : «  si un bateau coule ou qu'un train déraille près de chez vous et que vous écrivez une chanson là dessus.... ».
Justement dans celle ci il est question de train et d'un déraillement évité de justesse. La présence d'esprit d'un certain Barrault, garde barrière, y est pour beaucoup. Mais cette chanson est aussi liée à un pan de l'histoire locale et aux premières manifestations de groupes autonomistes bretons.
L'année 1932 a été fertile en incidents, à Vannes, Rennes et au lieu ici choisi comme le symbole d'une « frontière franco-bretonne ». Ingrandes est en effet la dernière gare en Maine et Loire sur la ligne de chemin de fer de Paris à Nantes.
Le timbre de la chanson est celui de la fille du bédouin (2), très populaire au début des années 30.
pour en savoir plus et écouter la chanson :


Un attentat a déjà eu lieu à Rennes le 7 aout 1932 : Dans la nuit, à la mairie de Rennes, un monument représentant la Bretagne s'unissant à la France est détruit par explosion. L'attentat qui n'a pas fait de victimes, est revendiqué par un mystérieux groupe « Gwenn ha Du ». Une chanson en breton imprimée sur feuille volante, relate l'événement (3) .
Profitant de la visite du président Herriot à Nantes en novembre pour commémorer l'acte d'union de la Bretagne à la France, le groupe autonomiste récidive. Une chanson a donc été composée là aussi sur cet incident. Elle a connu une diffusion encore plus confidentielle, probablement très locale. Une adhérente de l'association Dastum 44 a retrouvé ce texte dactylographié, à l'occasion d'un déménagement, au fonds d'un tiroir.
La chanson relate assez fidèlement le fait divers. Pour vous en convaincre, voici quelques extraits des témoignages repris par les quotidiens du 21 novembre 1932 qui, comme le « Petit Journal », titrent sur l'attentat d'Ingrandes.
Le « Matin » donne la parole au principal témoin : « J'ai nettement perçu, nous dit M Barrault, les deux explosions qui se succédèrent à quelques minutes d'intervalle. Je suis sorti aussitôt, armé d'un revolver, et je suis allé prévenir un employé de la gare. Tous deux, nous avons marché le long des rails vers Champtocé. La voie est en ligne droite sur un parcours de deux kilomètres. Nous avons alors remarqué une lanterne rouge posée entre les deux rails, puis à 600 métres, une seconde lanterne, allumée, tournée vers l'autre sens... Nous avons fait stopper les trains dans les deux sens, car trois trains de voyageurs devaient passer à quelques minutes d'intervalle. »
On découvre alors deux rails sectionnés sur 20 à 30 centimètres. Le journal précise que les malfaiteurs ayant allumé le cordeau de mise à feu seraient partis précipitamment sans emporter les deux lanternes. Ce qui permettra au Canard Enchainé de titrer « on est sur la piste du lampiste ».
La piste est en fait celle d'une voiture entendue par des témoins, dont Barrault. L'explosion ayant provoqué des dégâts limités, le Matin se demande, comme la police, « s'il ne s'agit pas d'un geste des prétendus autonomistes bretons, et que ceux-ci n'aient simplement visé, en rendant la voie ferrée impraticable pendant de longues heures, qu'à empêcher M. Herriot d'arriver à Nantes assez à temps pour y participer aux fêtes dont il devait rehausser l'éclat de sa présence ». Des membres du groupe Gwen ha du, arrêtés le jour même à Nantes seront ensuite relâchés !
Revenons en à l'épilogue de notre chanson. Il est confirmé par l'article du quotidien : « A 20 heures, M. Herriot, qui rentrait à Paris, a profité de l'arrêt de l'express à Angers pour se faire présenter et féliciter le garde-barrière Barrault dont l'intelligence et l'initiative ont probablement évité une catastrophe, car le peu de visibilité des feux rouges qui avaient été placés sur la voie n'aurait pu attirer l'attention des mécaniciens du train de voyageurs qui devait passer quelques instants après l'explosion ».

notes
1 – et aussi : « la plupart des chansons qui durent le plus longtemps sont les ballades qui racontent une histoire à partir des nouvelles du jour » - extraits de Cette machine tue les fascistes de Woody Guthrie (1912 - 1967)
2 - Chanson de l'opérette Comte Obligado créée en 1927 par Georges Milton ; Paroles et musique de Raoul Moretti et d'André Barde. Pour en savoir plus branchez vous sur le site incontournable du temps des cerises auxfeuilles mortes
3 - « chanson nouvelle au sujet du forfait de Rennes du 7 août 1932" – imprimée à Morlaix ; auteur anonyme.

auteur inconnu – année 1932
sur l'air de la fille du bédouin
interprètes : Liliane Berthe (chant) Jean-Louis Auneau (concertina)

la chanson du garde-barrière

Y avait dans ce pays là
un garde-barrière
qui surveillait ce jour là
la voie du ch'min d' fer
Et quand dans un train passa
tout un ministère
sans manière
sur la terre
une bombe éclata

Et le pauvre Barrault
qu'était bien au chaud
au fond de sa guérite
S'dit, ça c'est pour Herriot
on veut c'est ballot
lui casser sa pipe
Mais v'là que tout à coup
un deuxième coup
lui coupant la chique
il empoigne son drapeau
il met ses sabots
pour sauver Herriot

Ça doit être se dit-il
des autonomistes
J'entends une automobile
suivons en la piste
Alertons au bout du fil
le téléphoniste
Qu'des lanternes
assez ternes
signalent l'attentat

Et le pauvre Barrault
qu'était bien au chaud
au fond de sa guérite
dut subir mille assauts
maudissant Herriot
maudissant sa pipe
Répondre successivement
à deux cents agents
à plus de trois cent types
pendant qu'le président
passait tranquillement
sur le lieu de l'accident

Mais le soir le président
en revenant de Nantes
Après un repas épatant
tapant sur son ventre
lui dit pour ton dérangement
j'm'en vais te faire une rente
de mille balles d'capital
quarante francs par an

Et le pauvre Barrault
laissant ses sabots
au fond de sa guérite
Pour remercier Herriot
Y offrit du perlot
pour bourrer sa pipe
Il hurla très content
Vive le président
Vive la république
et vivent les bretons
vive leur explosion
et vive le pognon !


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