La chanson que vous allez écouter
n’est pas le tube de l’été, mais a certainement été un tube.
La preuve ? Elle s’invite dans toutes les collectes réalisées
aux quatre coins de la francophonie (1). Avec une présence plus
forte dans les régions de l’ouest et même une densité
remarquable dans les pays Nantais et Rennais.
En résumé, c’est l’histoire d’un
mec et de sa bonne amie prétendument malade. Pour la dépanner, il
va traire les vaches. Un animal récalcitrant l’envoie valdinguer
dans l’étable avec son seau de lait ; et il jure qu’on ne
l’y reprendra plus. Neuf fois sur dix, cette aventure est attribuée
à un moine, petit ou gros. Notre fable locale fait donc exception à
la règle puisqu’elle met en scène un valet et une chambrière.
Mais ce ne sont pas les seules différences.
Ecouter la chanson et lire la suite
Cette chanson a été publiée par
Soreau dans ses vieilles chansons du pays nantais, bien que
notée au Grand Fougeray, hors Loire-Atlantique donc. Ce thème a été
si souvent collecté des deux coté de la Chère (2) qu’il serait
fastidieux d’en faire une liste. Guéraud, par exemple, en publie
huit versions différentes, la plupart du sud de la Loire.
En Haute Bretagne et en Vendée, le
petit moine est le plus souvent originaire de Sainte Anne d’Auray,
lieu de pèlerinage depuis 1625, ce qui n’exclut pas que la chanson
soit beaucoup plus ancienne. C'est en tout cas l'avis de Conrad
Laforte. La satire des moines est en effet caractéristique du
moyen-âge. La première publication de cette chanson intervint en
1724, par Robert Ballard (3). Toutes les versions ont en commun des
assonances en è.
Si la fin est sans surprise, c'est
l'invocation du saint patron par le moine ou le galant qui varie
entre Saint Pierre, saint Gilles et, comme ici, Saint Yaum
(Guillaume). Ajoutons que la maladie de l'amie est fréquemment un
mal de doigt (4) ; ce qui est effectivement un handicap pour la
traite !
Les traits communs de toutes les
versions ayant été exposés, voyons maintenant les différences. A
commencer par les refrains. On peut les classer dans plusieurs
catégories :
- la plus répandue utilise des onomatopées en « ouichtenlaire » ou « vouichte en vouichte »... Chez Ballard c'est « ouistenlaire ».
- la seconde nous parle de la robe du moine : « sa robe volait » ou bien « comme il la secouait »
- une troisième catégorie est plus portée sur les « lire lire » ou encore « larigo »
Ces remarques concernent donc 90 % des
versions, mais qu'en est-il de la notre ?
Et bien, pour être plus rare elle n'en
est pas pour autant unique. Tout d'abord la version de Ballard elle
même ne parle pas de moine. « il était un homme, lequel
d'amour vivait » Etant « imprimeur du Roy » a-t-il
auto censuré le texte pour éviter de froisser les gens d'église ?
Les autres versions qui ne mettent pas
en scène un moine sont concentrées dans l'est (Jura) où c'est
tante Claudine qui a mal au doigt, et en Ille et Vilaine où Lucien
Decombe a collecté une version quasi identique, près de Vitré.
Enfin, le refrain de la chanson, de
structure toute différente, présente quand même des similitudes
avec d'autres :
Joue de ton tambourin Pierre, joue de
ton tambourinet (Soreau)
Choq' mon tambourin choq' – choq' mon
tambourinet (Decombe)
Tourne tourne ton moulin tourne –
tourne tourne ton moulinet (Orain – en Ille et Vilaine)
Tourne roule mon moulin tourne –
tourne roule mon moulinet (Radioyes – St Martin sur Oust 56)
Le tour dau rouet mes gars, le tour dau
rouet (Guéraud – dans le Choletais)
On pourrait certes se contenter de
chanter cette mélodie – pas si éloignée de celle publiée par
Ballard – sans se préoccuper de toutes ces considérations
historico-géographico-musicologiques. Mais avouez que devant un tel
enchevêtrement de thèmes, de refrains et de références il y a de
quoi se poser des questions sur le cheminement d'une chanson de son
origine jusqu'à nos oreilles. Une petite fable banale qui ouvre les
portes des siècles passés et de tous les chanteurs qui l'ont portée
jusqu'à nous par la seule tradition orale !
Et si ça vous donne le tournis :
une aspirine, une tisane..et au lit ! Allez hop.
notes
1 – vous avez échappé aux « quatre
coins de l’hexagone ». Si vous êtes en manque de clichés,
on vous conseille les journaux télé.
2 – La Chère est la modeste rivière
séparant les deux départements. Reportez vous deux semaines en
arrière pour saisir toute la subtilité de l’expression « de
l’autre coté de... »
3 – les rondes, chansons à danser,
tome 1 ...par le sieur Ballard, seul imprimeur du roy
4– pour l’assonance il faut se
souvenir que le doigt est souvent prononcé doegt
C’est
notre chambrière
C’est notre chamberière qui est
malade au lect (bis)
Et notre valet Pierre qui la
reconsolait
Joue de ton tambourin, Pierre
Joue de ton tambourinet
Joue de ton tambourin, Pierre
Joue de ton tambourinet
Et notre valet Pierre qui la
reconsolait (bis)
Il lui disait : ma Jeanne, Jeanne,
veux-tu du lait
Joue de ton tambourin, Pierre
Joue de ton tambourinet
Joue de ton tambourin, Pierre
Joue de ton tambourinet
… A répondu la Jeanne, oui bien
qu’elle en voulait…
… Pierre a pris une jatte, sous la
vache il s’en vait…
… La vache était fringante, elle a
joué du jarret…
… Elle a cassé la jatte, elle a gâté
le lait…
… Elle a jeté le garce par-dessus le
tabouret…
… Il a juré Saint Yaume c’est le
nom qu’il portait…
… Que jamais dessous vache il ne
s’accroupirait…
… Qu’il n’ë eu une coëffe ou
ben un beau collet…
collectage : Abel Soreau
source : non précisé, Le
Grand-Fougeray
interprète :
Jean-Louis Auneau
Coirault. :
Le moine qui trait la vache (Curés et moines – N° 09318)
Laforte. :
Le petit moine qui mignonnait (I, C-19)
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