vendredi 18 octobre 2013

26 – la fille changée en cane


Voici une chanson associée à un lieu bien précis puisqu'elle trouve son origine dans la légende de la cane de Montfort. Aujourd'hui appelée Montfort sur Meu (35) cette commune s'est appelée Montfort la Cane jusqu'à la révolution.

Il existe plusieurs versions de cette histoire dont le thème commun est l'évasion d'une jeune fille prisonnière grâce à l'intervention de Saint Nicolas qui lui permet de s'échapper par une fenêtre de la tour du château de Montfort après s'être transformée en cane. Le miracle ne s'arrête pas là puisque chaque année après 1376, à l'occasion du pèlerinage de Saint Nicolas, en mai, une cane et ses petits venaient régulièrement à l'église accomplir le vœu de la prisonnière. Le dernier procès-verbal constatant l'apparition de la cane est rédigé le 10 mai 1645. La légende a donné lieu a bien des interprétations. « Cette histoire se retrouve en effet sous forme de chanson populaire – un thème issu d'un fonds très ancien remontant au moyen âge – et plusieurs versions ont été publiées au 19ème siècle, aussi bien en Bretagne qu'ailleurs en France, ainsi qu'au Canada francophone » (1).
Rien d'étonnant à ce qu'on signale des versions de cette chanson en Ille et Vilaine dans les ouvrages de Sébillot (2) ou Decombe (3) . Plus près de nous des collecteurs...
Pour écouter la chanson et lire la suite:

... ont pu l'enregistrer : Albert Poulain à Pipriac, Charles Quimbert à Ploermel et Campénéac, Robert Bouthiller à Bain de Bretagne. Cette dernière version a été enregistrée pour le CD « grandes complaintes de Haute-Bretagne édité par Dastum et Ar Men. D'autres versions ont été notées en Mayenne, en Poitou, en Nivernais et jusque dans le Velay. Pour la Loire-Atlantique, Armand Guéraud (4) vers 1850 l'a notée dans le sud du département. C'est de là aussi que vient notre chanson de la semaine (Corcoué sur Logne).

Son texte reprend l'une des variantes de la légende où la jeune fille évadée du château est à nouveau importunée par trois soldats et n'échappe au viol qu'avec une nouvelle intervention de Saint Nicolas. En revanche le grand saint n'a plus la cote en sud Loire, puisque l'héroïne s'adresse directement à la Vierge, à Dieu et à son fils. Et l'histoire connaît une autre « happy end » (5) avec la conversion du méchant soldat.

Chantons mes braves ; et sans faire de canards.

Notes
1 – extrait des commentaires de Robert Bouthiller dans le livret du double CD « grandes complaintes de Haute-Bretagne » publié par Dastum et Ar men. Document, hélas, épuisé.
2 – Paul Sébillot : traditions populaires de Haute Bretagne
3 – Lucien Decombe : traditions populaires d'ille et Vilaine - p 364
4 - Armand Guéraud "En Bretagne et Poitou – chants populaires..." vol. 1 / 3.07 - page 111)
5 - « happy end » : terme du patois de Loire-Atlantique qui, en breton du nord, signifie à peu près « tout est bien qui finit bien ».

De guerre lointaine s’en revenant
(la fille changée en cane)

De guerre lointaine s’en revenant
Ont rencontré en cheminant
Trois rudes soldats à mine fière
Une jeune et douce bergère

Auprès d’un chêne en un vallon
Elle disait une chanson
Le rossignol dans le bocage
Lui répondait en doux ramage

Malgré ses pleurs, ses cris d’effroi
L’ont emmenée avec eux trois
Jusque là-haut sur la colline
Dans l’château qui la domine
 
Soldats, où donc m’y menez-vous
Laissez-moi retourner chez nous
Mon pauvre père, ma pauvre mère
En mourront de douleur amère

Non, viens là-haut dans not’ donjon
Tu nous y diras tes chansons
Ça plaira à notre capitaine
Du château tu seras la reine

A chaque marche qu’elle montait
Son petit cœur bien fort battait
Bonne Vierge, douce espérance
Ah, soyez, soyez ma défense

Lorsqu’elle entra dans sa prison
A Dieu elle fait son oraison
A Jésus-Christ, à Notre-Dame
Les priant d’la changer en cane

Avec tant de foi elle pria
Qu’un grand miracle s’opéra
Comme elle désirait en son âme
Dieu la fit devenir(e) cane

A chaque prière qu’elle disait
Son corps de plumes se couvrait
Elle s’envola par une grille
Sur un étang plein de lentilles

Quand le capitaine a vu ça
A réuni tous ses soldats
Ont bien tiré cinq cents coups d’arme
Sans pouvoir atteindre la cane

Quand le capitaine a vu ça
A dit : je n’serai plus soldat
Non plus soldat, ni capitaine
En un couvent me ferai moëne.

source : Abel Soreau
informateur : Paul Leyraud (La Bénate, en Corcoué-sur-Logne) – 28 octobre 1905
interprète : Bruno Nourry
catalogue P. Coirault : La fille changée en cane II (Rapts – N° 1302)
catalogue C. Laforte : La fille changée en cane (2-B-35)

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