A quoi pouvait bien servir le
brick-goélette dont il est question dans cette chanson ? A
quel type de commerce était employé le garçon qu'elle pleure ?
Un indice au détour d'un couplet nous offre un rare témoignage
chanté d'une activité qui a fait la fortune d'armateurs nantais et
une sombre réputation au grand port de la Loire : « la
traite ».
Il existe de nombreuses chansons qui
mettent en scène une barque de trente matelots. Elles se rattachent
le plus souvent à une version cataloguée sous le titre
« l'enlèvement de la fille aux chansons ». Une fois la
jeune chanteuse embarquée, son sort est scellé. Il finit au mieux
par son « honneur perdu » au pire par la noyade. Mais le
pays nantais nous offre une autre mise en scène dramatique pour
cette jeune fille qui attend le retour de son amant. Cette version
est finalement plus proche de celle des filles qui attendent sur le
rivage le marin parti pour les îles. Mais c'est un tout autre sujet
qui fait l'intérêt de notre chanson de la semaine.
Depuis que le trafic du « bois
d'ébène » fut officialisé par Charles Quint en 1517,
Flamands et Espagnols, puis Portugais, Anglais et Français ont
exploité le commerce triangulaire jusqu'au 19ème siècle.
L'esclavage aboli sous la révolution puis rétabli par...
pour lire la suite et écouter la chanson:
pour lire la suite et écouter la chanson:
...Napoléon ne
prit fin officiellement que sous la seconde république. Le
commandant Louis Lacroix, historien de la marine à voiles (1) nous
rappelle que « treize cent navires négriers battant l'enseigne
fleurdelisée ou le pavillon marchand, sortirent de nos ports
(français) au cours du 18ème siècle. Les Nantais transportèrent à
eux seuls plus d'un demi million de Noirs. » Le port de Nantes
représentait à lui seul 40% du trafic devant Bordeaux, La Rochelle,
Marseille, Saint Malo et Lorient. Mais c'était loin d'être une
activité isolée. En 1798 Liverpool y consacre une flotte quatre
fois plus importante que Nantes. Ce honteux trafic, ralenti par les
guerres napoléoniennes, reprend, clandestinement, au début du 19ème
puisque en 1825 pas moins de 126 navires nantais sont encore
suspectés de s'y livrer, malgré l'interdiction promulguée en 1818.
« Les navires de moyen tonnage,
maniables et pouvant trouver plus facilement un chargement
complet...sans rester trop longtemps en charge sur la côte, furent
reconnus...comme étant les meilleurs pour la traite » (1). Pas
de trois mats donc, mais des bricks d'environ 150 tonneaux ou des
goélettes, plus petites, sont recensés par les autorités
portuaires chargées de surveiller l'interdiction du trafic négrier.
Leurs marins viennent de Nantes, de Paimboeuf, du Croisic et de tout
l'arrière pays. La traite ne commence à être contestée que vers
le milieu du 18ème par les Quakers, relayés chez nous par quelques
grands noms comme l'abbé Grégoire, Bernardin de St Pierre,
Condorcet...jusqu'à Victor Schoelcher qui obtint L'abolition. Pour
le marin de commerce obligé de s'engager pour gagner sa subsistance
elle n'était probablement qu'une activité parmi d'autres. Mais une
activité si peu glorieuse que ses témoignages sont presque
inexistants. Heureusement, l'inauguration en 2012 dans le port de
Nantes du mémorial de l'abolition de l'esclavage nous aide à
retrouver la mémoire (2).
Revenons au texte de la chanson,
entendue en 1909 à Pontchateau. Ici c'est un marinier qui fait
pleurer la belle. Un texte similaire a été noté de l'autre coté
de la Loire, aux alentours de Pornic. Il y est question d'un navire
qui charge des boucauts (3). Nous vous donnons ce deuxième texte à
la suite de la version enregistrée ; à quelques détails près
c'est la même histoire. Hormis ces deux chansons, aucune autre, à
notre connaissance, ne fait référence à la traite négrière.
notes
1 – Louis Lacroix : Les derniers
négriers – réédité en 1977 par les éditions maritimes
2 – toutes les explications sur le
site du mémorial
3 – boucaut : Tonneau de taille
moyenne servant à contenir certaines marchandises sèches (source :
dictionnaire de l'académie française). A ne pas confondre avec le
boucaud, autre nom de la crevette grise dans le pays de Retz.
Il était une barque
Il était une barque de trente matelots
(bis)
De trente matelots, sur l’bord de
l’eau, sur l’bord de l’île
De trente matelots, sur l’bord de
l’eau, proche d’autres bateaux
Le plus jeune des trente commence une
chanson (bis)
Commence une chanson, sur l’bord de
l’eau, sur l’bord de l’île…
Il parle d’un jeune homme qui sur mer
est parti
Que depuis six années on n’a pas
‘core revu
Voici que sur la rive, une fille se
prom’nait
Entendant la complainte, elle s’est
mise à pleurer
Est-ce ma chanson, la belle, qui peut
vous chagriner ?
Avez-vous perdu votre père ou l’un
de vos parents ?
J’ai point perdu mon père, ni l’un
de mes parents
Je pleure un brick goélette, parti il
y a six ans
Est parti pour la traite avec mon bon
Fernand
J’avons point r’çu d’nouvelles,
s’il est mort ou vivant
Trois s’maines avant qu’il parte,
nous étions fiancés
Aujourd’hui sans nul doute, nous
serions épousés
Hélas, y’a tout à craindre dans les
pays lointains
Les sauvages et la fièvre et mille
autres dangers
Je l’attendrai encore, je l’attendrai
quatre ans
Si plus longtemps il tarde, j’entrerai
au couvent.
source : Emmanuel de
Boceret, à Pont-Château, le 21 avril 1909
interprète : Daniel
Lehuédé
catalogues : Coirault - La
barque de trente matelots (01317) Laforte - L'embarquement de la
fille aux chansons (1-K-05)
Il était une barque - 2
version tirée du cahier de chansons du
violoneux Poiraud, à Pornic
Il était une barque à trente matelots
(bis)
A trente matelots, sur le bord de l’île
Qui chargeait des boucauts sur le bord
de l’eau
Près d'eux une jeune fille en les
voyant pleurait
et bien fort soupirait, sur les
bords...
Un matelot bien jeune et surtout très
galant,
la voyant pleurer tant...
Qu'avez vous donc la belle, qui vous
fait pleurer tant ?
Et vous fait soupirer...
Pleurez vous votre père ou l’un de
vos parents ?
Pleurez vous votre amant...
Je pleure un brick goélette, parti la
voile au vent
Je pleure mon amant....
Est parti pour la traite mon bel et
tendre amant
Et voilà mon tourment...
Il partit vent arrière, les perroquets
au vent
Un baiser m'envoyant...
Je n'ai pas de nouvelles depuis
beaucoup de temps
de celui que j'aime tant...
Consolez vous la belle calmez tous vos
tourments
Je m'offre en remplaçant
Non, non répondit elle retirez vous
méchant
J'attendrai mon amant...
Il revint à la barque confus et
repentant
confus et repentant....
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