Une chanson d'amour qui
finit bien ! Ce n'est pas si souvent.
C'est encore Abel Soreau
qui nous offre cette version de la fille du roi Loys, collectée en
1897 dans le pays de Chateaubriant. La chanson reprend le thème
moyenâgeux de la princesse enfermée dans la tour, déjà chanté
par les trouvères au 13ème siècle. Elle est connue depuis sa
première publication en 1842 par Gérard de Nerval qui pour cet air
aurait donné « tout Mozart, tout Rossini, tout Weber... »
Sans aller jusque là, remarquons que cette histoire a conquis tous
les terroirs francophones, occitans, catalans, piémontais...
D'autres versions
d'origine bretonne ont été publiées par Dastum. Celle recueillie
par Daniel Giraudon à Plancoet (22) et reproduite sur le CD Grandes
complaintes de Haute Bretagne (édition Ar Men SCM 040/041) ne va pas
jusqu'au dénouement heureux. Mathieu Hamon a collecté auprès
d'Eugénie Corbillé, du Dresny (44) une version qui zappe le début
de l'histoire et débute alors que la fille du roi a déjà passé
sept ans enfermée. Vous pouvez entendre Mathieu la chanter sur le
disque Gouel 20 vloaz Dastum. Quand au collectage original il figure
sur le double CD édité en 2012 par Dastum 44 Anthologie du
patrimoine oral de Loire-Atlantique (voir à la page éditions).
Vous pourrez ainsi
comparer avec notre chanson de la semaine.
Là-haut dedans la tour by Dastumla
texte et commentaires:
LA-HAUT DEDANS LA TOUR
ou l'histoire de la fille du roi Loys, une chanson d'amour qui finit bien !mais tout d'abord, les paroles:
Là-haut,
là-haut, dedans la tour
Une
princesse à mes amours
Elle
a voulu tant bien m’aimer
Que
son père la fit enfermer
Il y a bien cinq ou six ans
Que
la belle est fermée dedans
Au
bout de la septième année
Son
père alla la visiter
Bonjour
ma fille, comment ça va
Oh
mon papa, ça ne va pas
J’ai
un côté rongé des vers
Et
les pieds pourris dans les fers
N’avez-vous
pas dans vos monnaies
Cinq
à six sols à me donner
Nous
payerons le serrurier
Pour
qu’il m’arrache les fers des pieds
Oui, oui, ma fille, nous en avons
Pour
plus de cinquante millions
Si
tu veux cesser tes amours
Nous
te sortirons de la tour
J’aimerais
mieux mourir dedans la tour
Oh,
que de cesser mes amours
Eh
bien, ma fille, tu y mourras
Sans
que personne n’y vienne te voir
Son
amant y vint à passer
Une
lettre lui a jetée
Faites
la morte ensevelie
Faites-vous
porter à Saint-Denis
Elle
fit la morte ensevelie
Elle
fut portée à Saint-Denis
Cinq
cents curés, autant d’abbés
Allèrent
la princesse enterrer
Les
prêtres allaient devant, chantant
Le
roy allait derrière, pleurant
Quatre
hommes portaient le cercueil
Et
tout le monde était en deuil
Son
amant il vint à passer :
Arrêtez
tout, monsieur l’curé
Vous
portez ma mie enterrer
Permettez-moi
de l’embrasser
Il
prit son petit couteau d’or
Et
décousit le drap de mort
A
chaque point qu’il décousait
Voilà
la belle qui souriait
Tout
l’monde autour sont étonnés
Et
dit : la belle chose que d’aimer
J’menions
la princesse enterrer
Son
amant l’a ressuscitée.
source :
collectage d’Abel Soreau auprès de F. Ledevin, à Châteaubriant,
en novembre 1897
interprète
: Martine Lehuédé
références :
catalogue Coirault : La fille du roi dans la tour (01424) -
catalogue Laforte : La fille du roi Loys (2-A-04)
« Filles et garçons
qui veulent s'aimer, y'a personne pour les empêcher » ainsi se
conclut la chanson reproduite dans notre double CD L'anthologie.
« Nous la conduisions enterrer, maintenant allons la marier »
chantent les prêtres et abbés dans d'autres versions.
Cette chanson fait partie
des grandes complaintes qui ont traversé les siècles. Doncieux,
dans le romancero populaire de la France, la rattache à un chant de
trouvères du 13ème siècle. Une édition, sous le titre Belle
Isambourg, est signalée en 1607 qui reprend la trame sinon le texte
de l'histoire. Mais c'est Gérard de Nerval dans son ouvrage les
filles du feu qui l'a fait redécouvrir.
Pendant ce temps la
chanson a suivi le cours de toutes les complaintes traditionnelles.
Elle a étendu son aire géographique. Si le nombre de versions
entendues en Bretagne est relativement faible, les collecteurs du
19ème siècle l'ont retrouvée en Savoie (Tiersot), Franche Comté
(Beauquier) Bresse (Guillon), Lorraine (Puymaigre) Agenais (Bladé),
Nivernais (Millien), etc. Elle a franchi l'Atlantique jusqu'au Québec
ou Marius Barbeau en a publié une version écourtée. Elle a passé
les Pyrénées jusqu'en Catalogne, et les Alpes où elle a été
notée, en Piémont, par Costantino Nigra (Figlia mia, come ti va ?
- Padre mio, va tanto male...) Elle aurait aussi servi de base à une
chanson anglaise, the gay gosshawk.
Un détail semble commun
à toutes ces versions, le plus sordide bien sur : la fille, les
pieds dans les fers, a les cotés mangés par les vers. La somme
demandée à son père pour amadouer le geolier va d'un sou jusqu'à
20 francs (en Franche Comté). La richesse du père va de cent mille
écus (pays de Metz) à soixante millions (dans le Gers). La
formulation la plus fréquente étant « nous en avons des
milles et des millions ».
Quelques versions
diffèrent par une fin à suspens. La fille réaffirme sa volonté.
Plutôt mourir que changer d'amant ; mais l'épisode de la
belle ressuscitée est omis. C'est le cas pour la chanson du disque
Grandes complaintes de Haute Bretagne, mais aussi pour la complainte
canadienne chantée à Marius Barbeau dans la province de Charlevoix.
Parfois c'est le début de l'histoire qui fait défaut. C'est le cas,
entre autres, pour la version incluse dans notre Anthologie du
patrimoine oral de Loire-Atlantique (20 €, c'est une affaire!).
Autre intérêt de notre
chanson de la semaine : l'histoire semble racontée par l'amant lui
même dans les premiers couplets. Mais il reste ici anonyme celui que
plusieurs versions donnent comme le chevalier Déon. Enfin la
conclusion tragique est évitée et tout finit bien pour cette belle
qui a fait la morte et sourit à son amant. De la chanson du pays de
Chateaubriant il manque juste la morale de l'autre version locale :
« filles et garçons qui veulent s'aimer, il n' y a personne
pour les en empêcher. »