vendredi 28 juillet 2023

445 - Un bal à l’hôtel de ville

 Pourquoi interpréter une chanson composée à Paris vers la fin du 19è siècle dans un site consacré à la tradition orale ? La première réponse pourrait être que cette chanson a été enregistrée par plusieurs collecteurs auprès de chanteuses de notre secteur. Mais ce qui nous intéresse particulièrement c'est l'influence qu'à pu avoir ce succès des années 1890 sur d'autres formes d'expression ; Juste retour des choses pour une musique qui doit beaucoup à des origines bien plus anciennes. Cette entrée en matière nécessite quelques explications mais écoutons d'abord ces quelques couplets

pour écouter la chanson et lire la suite :

Les plus férus de danses « trad » parmi vous savent que « l'avant deux de travers », danse emblématique du pays nantais dans les festou-noz et autres bals traditionnels, fait partie d'une famille d'avant-deux présente du pays de la Mée au pays d'Ancenis. L'avant-deux répertorié sur les communes de la Meilleraye, du Petit et du Grand Auverné est dansé sur une musique dérivée du « Bal à l'hotel de ville ». Danse et chanson sont en fait contemporains. Pour s'en convaincre il suffit d'écouter, sur le site Dastumedia, les enregistrements instrumentaux réalisés par Patrick Bardoul, ou vocaux comme celui d'Antoinette Perrouin, réalisé par Pierre Guillard. Voici les paroles qui servent habituellement de support :

Tu n'auras pas ma fille maçon
Car elle est trop belle
Tu salirais son blanc jupon
Avec ta petite truelle
Son blanc jupon, son petit cotillon
Dame, c'est pas de la petite bière
Car ces gaillards là avaient acheté ça
A la belle jardinière

Tiens donc ; voilà un indice qui ne trompe pas. Sur le même air on entend aussi :

Comme te voila touillé guené
Ta maman va t’battre
Elle t’a donné des beaux souliers
T’en a fait des savates.

Cet exemple n'est pas unique. Dans d'autres régions aussi, le succès de la chanson parisienne a eu son influence sur les danses en vogue au début du 20è siècle. Mais revenons à l'origine.

« Un bal à l'hôtel de ville » a été écrit en 1879 par Maurice Mac Nab (1). Né à Vierzon en 1856 et mort à Paris en 1889, cet artiste a participé au succès du cabaret le « chat noir », célébré par Bruant. Sa courte carrière nous a aussi donné "Le grand métingue du Métropolitain" et le "Le pendu".

Notre chanson connaît un vrai succès au milieu des années 1890, avec les premiers enregistrements sur rouleaux et disques. Charlus et Fursy (2) en sont les principaux interprètes.

Qu'en est-il de la musique ?. Elle est signée par un certain Camille Baron. Le Camille en question ne s'est pas trop foulé puisqu'il s'est contenté d'arranger un timbre connu et abondamment utilisé depuis plus d'un siècle. Répertorié dans la clé du caveau sous le n° 633 ainsi que dans les airs des chansons de Béranger, il est connu sous le nom de « Mon père était pot ». c'est une chanson bachique qui lui a valu cette dénomination :

Buvons à tire larigot
Chers amis, à la ronde,
Au Dieu du vin soyons dévots,
Il gouverne le monde !
Jadis nos aïeux
Prêchaient encor mieux
Cette morale sainte.
Mon père était pot,
Ma mère était broc,
Ma grand-mère était pinte.

Ce timbre à été repris pour des chansons satiriques, d'actualité, d'amour, etc. Plus rarement dans la tradition orale.

Et voilà donc comment la variété parisienne opère un retour aux sources, en faisant le lien entre une tradition – récente, certes – et un air bien plus ancien.

Pour en finir avec cette anecdote, ajoutons juste quelques précisions. Le setier est une mesure de quantité qui revient parfois dans les chansons anciennes avec une imprécision causée par des mesures variables d'une province ou d'une ville à l'autre, sous l'ancien régime. Heureusement la révolution et le système métrique y ont mis bon ordre. On peut donc situer le demi-setier à 25 centilitres ; moins qu'une fillette ou une chopine. Quand à la « queue de morue » c'est une désignation populaire équivalant à la « queue de pie » pour ceux qui ont l'habitude d'aller dans le « grand monde ».

L'un des couplets de Mac Nab a été laissé de coté aussi bien par Charlus que par Fursy. Nous en avons donc fait autant (3). Il est vrai qu'il incitait à la consommation de tabac, ce qui n'est plus d'actualité.


notes

1 - voir sa biographie sur le site « du temps des cerises aux feuilles mortes » 

2 - Henri Fursy s'appelait Henri Dreyfuss. L'ambiance particulière de l'époque lui fit prendre un pseudonyme

3 – couplet en italique après la chanson. Il était le cinquième dans le texte.


Interprète : Jean-Louis Auneau

Source : chanson datant de 1879 - paroles : Maurice MacNab, musique arrangée par Camille Baron. Publiée dans « les chansons du chat noir ».

Avant deux des Auvernés : voir les collectes dans la base dastumedia (Tu n'auras pas ma fille, maçon)

Bibliographie : pour plus de précisions sur ces avant-deux, reportez vous à l'ouvrage publié par Marc Clérivet « danses traditionnelles en Haute-Bretagne » (Dastum / Presses Universitaires de Rennes - 2013)


Un soir j'dis à ma femme faudrait,
Qu'j'aille à l’hôtel de ville
Y'a un bal épatant paraît
Qu'on ne s'y fait pas trop de bile
Mais mon homme qu'elle m'dit
Tu n'as pas d'habit,
Ah c'est pas ça qui me gêne
Passe moi mon complet
Qu't'as rafistolé
Pour la noce à Ugène


J'arrive à la porte du bal
J'vois des gars qu'on salu-e
C'est tout l'conseil municipal
Debout en grande tenu-e
Des complets marrons
Et des chapeaux ronds,
Dame c'est pas d'la petite bière
Tous ces gaillards là
Ils ont pigé ça
A la Belle Jardinière


J'entre et j'tombe dans un restaurant
Où d'un coup d’œil rapide
J'avise une espèce de croquant
Qui versait du liquide
J’avale un d’mi-s’tier
Et j'tend pour payer
Quarante sous au bonhomme
Il me dit mon sieur
Vous faites erreur
C'est à l’œil qu'on consomme


Quand j'ai vu ça j'm'en suis flanqué
Par dessus les oreilles
Jamais j'avais tant tortillé
Ni tant sifflé d'bouteilles
Comme on peut pas tout
Manger d'un seul coup
J'en ai mis plein mes poches
Quand on a bon cœur
On pense à sa sœur,
A sa femme à ses mioches


Soudain je m'dis c'est pas tout ça,
T'es au bal faut qu'tu danses
Et qu'tu montres à tous ces mufles là
Qu'tu connais les conv'nances
J'fais l'tour du salon
Comme un papillon
Et j'dégotte une belle brune
Madame que j'lui dis
V'là mon abattis
Nous allons en suer une


Pardon fait un vilain gommeux
C'est moi qui l'a r'tenu-e
Alors on s'attrappe tous les deux,
J'arrache sa queue d'morue
Il m'pousse dans un coin,
Y m'colle un coup de poing
Sans même que j'y réponde
Et voilà comment on
Reçoit des coups de tampon
Quand on va dans l'grand monde


J'ai l’œil poché mais c'est égal
J'ai rigolé tout d'même
Car voyez vous un pareil bal
Faut avouer qu'c'est la crème
Le nec plus ultra
C'est qu'à cet endroit
Ca coûte pas un centime
Aussi nom d'un chien
Je r'pique l'an prochain
Avec ma légitime


Couplet manquant

Après ça j’arrive en m’ prom’nant dans l’ fumoir où qu’ l’on fume.

Je m’assois et j’ tir’ tranquill’ment mon brûl’gueul’ que j’allume.

Mais v’là qu’un larbin, pour fair’ le malin, m’ tend un’ boît’ de cigares ;

J’ la mets sous mon bras. des panatellas ! Quel coup pour la fanfare !

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