jeudi 13 juillet 2023

444 Le crime de Breil-Benoit

 Comme tous les ans à la même période, nous alimentons la chronique judiciaire ; c'est notre marronnier. Parmi les complaintes criminelles recueillies dans notre secteur, celle ci n'a pas connu le retentissement de la « tuerie du Landreau » ou des aventures du «  bandit Jules grand ». Mais elle est tout aussi sordide et s'appuie sur les mêmes ressorts pour provoquer l'émotion de l'auditoire, faire pleurer sur le sort des victimes et attiser le besoin de voir condamnés les coupables. La mélodie ne vous est sans doute pas inconnue ; certains l'ont baptisée « l'air de toutes les complaintes ».

Pour écouter la chanson et lire la suite :

Bien sur, il s'agit du fameux timbre de Fualdès, abondamment utilisé tout au long du 19è siècle et jusqu'à la première guerre mondiale. Un tiers des complaintes criminelles recueillies en Loire-Atlantique utilisent ce timbre (1). Si les auteurs de ces textes ne connaissaient pas forcément l'histoire originelle de l’assassinat du procureur Fualdès, on peut tout de même remarquer une similitude entre les deux affaires : les meurtriers se débarrassent de leurs victimes en les jetant dans une rivière (2) . A Rodez c'était dans l'Aveyron ; ici c'est le Don, charmante rivière qui serpente dans le nord du département ;

Pauvre Jean-Marie Lemasson ; Toujours censé être le chef de famille, mais infirme, il est plutôt considéré comme une bouche inutile par sa femme et son fils. Ceux ci ne trouvent rien de mieux que de s'en débarrasser en faisant passer sa noyade pour un suicide. Mais les enquêteurs ne sont pas dupes.
Mme Pichaud, à qui les deux collecteurs doivent cette chanson, avait été marquée par cet événement tragique alors qu'elle n'avait que cinq ans. Le village de Breil-Benoit, est à l'entrée du bourg d'Issé, non loin de Chateaubriant. C'est au milieu de ce hameau que les premières constatations furent effectuées. Le corps repêché étendu sur une table d'autopsie de fortune constituée d'une porte posée sur deux tréteaux. Un image certainement marquante pour de jeunes enfants. En revanche, faute de disposer du texte imprimé, la mémoire de la chanteuse était un peu défaillante. Elle avait alors 101 ans (en 1998) ce qui peut excuser les blancs subsistant dans le déroulement de la complainte. C'est donc en effectuant un montage des paroles chantées lors de deux enregistrements que nous avons pu reconstituer la quasi intégralité du texte.

La principale alternative entre les deux versions concerne le dispositif sommaire utilisé par les meurtriers. Dans un cas :


Une pelle autour du cou

Pour ne pas manquer leur coup

Dans l'autre :

Une pelle autour du corps

Pour ne pas remonter le corps

A vous de choisir.

Le crime a eu lieu le 12 mai 1894. Le jugement est intervenu le 19 décembre de la même année. La complainte semble avoir vu le jour au lendemain de celui ci, si on en croit le dernier couplet. En effet, les auteurs de ces complaintes sur feuilles volantes devaient suivre l'actualité au plus près pour avoir une chance de vendre leurs productions dans les villages ou sur les places de marchés.


Pour tout savoir sur le phénomène des complaintes criminelles nous vous recommandons la lecture de l'ouvrage publié par Jean-François « Maxou » Heintzein : « Chanter le crime - Canards sanglants & complaintes tragiques (éd. Bleu autour - 2022) »

J.L.A.


Notes

1 – C'est également valable dans l'ensemble du territoire, d'après les relevés effectués par « Maxou » Heintzein. Seul le timbre de la Paimpolaise, après 1905, a pu connaître un tel succès.

2 – C'est aussi le cas pour le « Mystère de l'Erdre », composée sur le même timbre (chanson n° 79, nov. 2014)


Interprète : Jean-Louis Auneau

source : Mme Pichaud, née Pauline Huet, 101 ans – enregistrée par Pierre Guillard et Patrick Bardoul en 1988 et 1990 à Issé

timbre : air de Fualdès


Écoutez tous gens paisibles

Qui vivez dans cet endroit

Le crime de Breil-Benoit

C'est une chose pénible

Un vieillard paralysé

Qui a été assassiné


Ce vieillard qui était infirme

Était sûrement maltraité

Sa femme et son fils aîné

Le rendaient pauvre victime

Car le fils à son égard

Était dur pour ce vieillard


Voulant faire croire au suicide

Après l'avoir étranglé

Ces deux misérables avaient

Encore attaché de suite

Une pelle autour du cou

Pour ne pas manquer leur coup


A eux deux ils transportèrent

Le corps du père Lemasson

Dans la rivière du Don

Mais bientôt il fut découvert

L'autopsie a révélé

Qu'il ne s'était pas suicidé


Heureusement la justice

Du canton de la Meilleraye

A su bientôt les arrêter

Les conduit en cour d'assises

Pour y être condamnés

Tous deux aux travaux forcés


Écoutez gens de la campagne

La morale de ce récit

La sentence qui aujourd'hui

Les a condamné au bagne

A vingt ans le fils aîné

La mère à perpétuité

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