dimanche 19 juillet 2020

348 - Complainte de Jules Grand (1)

Voilà plus d'un siècle la population locale se passionnait pour les aventures d'un criminel hors du commun. On en a fait des complaintes selon la mode de l'époque, relatant les faits et méfaits du bandit Jules Grand: comment sa vie l'a fait basculer dans le crime, comment il échappait aux recherches, jusqu'au châtiment final. Pour la seconde fois nous faisons le choix de ne pas vous présenter une chanson d'un seul bloc. La complainte de Jules Grand fait quand même 36 couplets! Ce sera notre feuilleton de l'été.
Pour écouter la chanson et lire la suite:


Les 3 épisodes correspondent à trois parties de la complainte. D'abord ses faits et gestes dans le sud de la France; puis son périple à travers l'ouest; enfin ses derniers forfaits en pays nantais et son arrestation.
Un peu d'histoire: Jules Grand avait 26 ans quand a été écrite la complainte. Né en 1885 à Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône), c'est comme soldat déserteur qu'on le situe à Grasse, où ses parents sont commerçants. Le premier couplet passe rapidement sur son enfance dont, à vrai dire, on ne sait pas grand chose. On le dépeint déjà comme une brute cherchant querelle. “Scélérat” est le terme qui revient le plus souvent dans le texte. L'énumération de ses méfaits nous donne, en effet, le portrait d'un individu peu recommandable.
Déjà condamné à 17 ans à la prison avec sursis pour des blessures par arme à feu, il est incorporé dans un régiment de chasseurs alpins. Deux ans plus tard il est surpris à cambrioler la cantine du régiment. En s'enfuyant, il tue le caporal Ferminier, d’un coup de fusil. Traduit devant le conseil de guerre, il simule la folie, et s’échappe de l’hôpital militaire. S’arrêtant dans un café de Peymeinade pour voler la caisse, il poignarde une employée, Valentine Giraud. Sa cavale se poursuit dans le sud de la France: Marseille, Martigues, Bordeaux. En mai 1909, pour ces crimes d’assassinat, tentative d’assassinat et vol, le conseil de guerre le condamne, par contumace, à la peine de mort. C'est la première de trois condamnations ! Mais Jules Grand est toujours en fuite. Dans les prochains épisodes nous le retrouverons dans l'Ouest.
Le timbre sur lequel elle se chante est l'un des plus utilisés pour ce type de complainte: “le juif errant”. Pas autant qu'ont pu l'être l'air de Fualdès au 19è ou la Paimpolaise depuis sa création par Botrel. Mais avec une constance qui s'explique sans doute par la popularité de la chanson originelle. Non seulement l'air du juif errant a servi de base à des complaintes criminelles, mais il a aussi influencé les mélodies de plusieurs autres chansons traditionnelles.
La chanson que nous avons choisi d'interpréter n'est pas la seule composée sur ce fait divers. Elle est la plus complète, donnant à peu près fidèlement un aperçu des tribulations du criminel depuis son premier forfait jusqu'à ses derniers jours. Pour découvrir les autres chansons sur ce thème, il faut, bien sur, rechercher la base de données des complaintes criminelles sur Criminocorpus, un site remarquable que nous vous encourageons à consulter. Voici la liste des complaintes recensées par “Maxou” Heintzen:
- Complainte en souvenir des victimes: sur l'air de Béranger à l'académie (4 couplets)
- Ce que disent les victimes : également sur l'air du juif errant (13 couplets et une morale)
- une Complainte, sur l'air de Fualdès, signée Daran (8 couplets)
- La condamnation à mort du bandit Jules Grand
- Le satyre du Pouliguen : complainte collectée par Guy Belliot chez Marie-Edith Rialland qui la tenait de sa grand-mère Marie Loyer 
- Chant dramatique sur la troisième condamnation à mort de Jules Grand : sur l'air de Ça vous coupe la gueule à quinze pas (7 couplets)
- Chanson sur Jules Grand : sur l'air des Les Pioupious d'Auvergne (4 couplets et 2 refrains)
Comme on le voit, l'affaire Jules Grand a eu un tel retentissement que ce sont 8 complaintes, au moins, qui ont été écrites sur le sujet. Peu de criminels ont eu droit à une telle notoriété chantée.
Notre interprétation se réfère a plusieurs sources, dont certaines collectées en Brière; nous verrons pourquoi la semaine prochaine. Le texte le plus complet nous a été communiqué par Vincent Morel, dans son étude sur Le phénomène de la complainte criminelle locale en Haute-Bretagne, (maîtrise d'histoire inédite, Rennes, 1995).
Les illustrations et portraits de Jules Grand sont extraits de journaux d'époque disponibles sur Gallica, le site de la BnF.

interprète: Jean-Louis Auneau
sources: Gisèle Bourreau enregistrée le 21 mars 2003 à Oudon par Hugo Arribart - Lucie Rastel enregistrée le 29 mai 1981 par Raphael Garcia à Kerbourg en St Lyphard – Texte communiqué par Vincent Morel d'après M. Piquet, enregistré à la Meilleraye de Bretagne par Patrick Bardoul – autre collecte: François Baholet, enregistré en Brière par Joseph Gervot

les douze premiers couplets...

Jules Grand dans sa jeunesse
N'était qu'un polisson
Brutalisant sans cesse
D'autres jeunes garçons
Il était tapageur
Brutal et querelleur

Jules Grand étant à Grasse
Dans les chasseurs alpins
Il y marqua ses traces
Par de nombreux larcins
Une nuit il fut surpris
Par le sergent de nuit

Chez une cantinière
Un courageux sapeur
Voulut, sans plus de manières
Arrêter le malfaiteur
Jules Grand, le scélérat
Fit feu sur le soldat

Il fit une blessure grave
Au courageux sergent
Féminier, autre brave
Fut blessé mortellement
Pour ces crimes sanglants
On emprisonna Grand

Grand, conduit à Marseille
Pour y être jugé
Par devant le conseil
De guerre sans tarder
Mais Grand en vint à bout
Qu'on le soupçonne fou

Trompant la surveillance
De ses gardiens la nuit
Grand part sans prévenance
Par la rue de Lodi
Ses traces furent perdues
On ne le revit plus

Mais le conseil de guerre
Condamna Grand à mort
Depuis l'année dernière
On n'trouva pas d'abord
Les traces du brigand
On réclame Jules Grand

Jules Grand eut une maîtresse
Plus tard, le scélérat
Un enfant il lui laisse
Un jour de sur les bras
Car un gosse à nourrir
Vaut mieux le laisser mourir

Tout près de Peymeinade
Dans le café Cauvin
Il marqua sa passade
Il demanda du vin
On lui sert à manger
Comme à tout étranger

Il finit sa chopine
Et puis le scélérat
Sur la bonne Valentine
Sans raisons il frappa
La blessant sans égard
A grands coups de poignard

Quittant cette contrée
Grand, précipitamment
Il vola le livret
De gens biens innocents
A Gabriel Demay
L'un même appartenait

Du coté de l'Espagne
Aussi du Bordelais
Jules Grand dans les campagnes
Commit quelques méfaits
Il y sema partout
Des traces de mauvais coups


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