vendredi 8 décembre 2017

227 - Gai rossignolet du bois

Le moins qu'on puisse dire de cette chanson c'est qu'elle est énigmatique. Ce n'est pas dans le sens d'énigme policière comme la complainte de la semaine dernière, encore qu'ici aussi il soit question de tuer. Mais, justement, cette façon de vouloir se débarrasser d'un rival amoureux nous paraît trop abrupte pour qu'on puisse l'interpréter au premier degré. Cette histoire a, sans doute, une autre origine difficile à déceler.
L'air que nous interprétons est lié à une variante de rond du pays paludier, dansée au Croisic. La chanson semble très connue dans la presqu'ile guérandaise où elle a été recueillie de plusieurs sources et à plusieurs époques. Une de ces sources figure dans notre Anthologie du patrimoine oral de Loire-Atlantique (1), publiée en 2012.
Pour écouter la chanson et lire la suite:


Le sens exact des paroles nous échappe aujourd'hui. Il semble faire référence à des coutumes qui non seulement n'ont plus cours mais étaient déjà obsolètes au moment ou ce texte a pu être collecté. Nous ne parlons pas seulement des collectes de Fernand Guériff dans les années 50. Les premiers à publier cette chanson au 19è siècle s'interrogeaient aussi sur sa signification. Par exemple, les versions entendues en Poitou par Léon Pineau et Jérome Bujeaud (2) font plus ou moins explicitement référence au rituel des journées de noces et à l'importance des couleurs dans le vêtement. Bujeaud parle de la coutume des livrées qui débutait jadis la journée des noces : « la fiancée distribuait la livrée aux invités, rubans de couleur d'amour (rose) ou d'espérance (verte) que les filles accrochaient à leur ceinture et les garçons à leurs chapeaux. » Le dernier couplet de sa version dit :
j'ai perdu ma fiancée
Dès le soir du jour
Où je l'aurais trouvée
je la déceinturerais
de sa ceinture dorée
et la receinturerais
de la mienne argentée
Dans celle imprimée par Léon Pineau la couleur change :
les filles de ton village ne sont-elles pas gentilles
Tu dois bien le savoir, tu les as fréquentées
T'en as bien gardée une sept ans enfermée
au bout de sept ans la belle s'en est allée
...
Ce n'est plus temps galant, les livrées sont données
Y'en a plus qu'une noire, une noire livrée
Je la mettrai à mon chapeau, je la ferai parivoler
La chanson citée par Bujeaud était interprétée « sur un air mélancolique ». Après cette coutume des livrées « on se mettait en marche en chantant d'une voix lente » ces couplets.
Hormis cet exemple, toutes les autres versions sont associées à des danses. Ainsi, une chanson très proche a été recueillie dans les Pyrénées (3) où elle était chantée sur un air de branle de la vallée d'Ossau. Le fait que la chanson serve de support à la danse n'a pas de signification en lui même. Ce n'est pas la première fois qu'on rencontre un texte à danser qui évoque des événements tragiques. Cela vient renforcer l'idée qu'il ne faut pas prendre au premier degré cette envie de meurtre sur la personne du rival. Pas plus que le fait de tenir la fillette enfermée sept ans dans une chambre. Nous sommes probablement en présence d'une chanson qui marquait une rupture définitive avec d'anciens prétendants au moment de la cérémonie du mariage. On retrouve cette fonction dans une autre chanson interprétée dans ce blog (le bouquet de saulde – chanson n° 194, mars 2017). Ceci n'est bien sur qu'une hypothèse. Nous n'avons pas la prétention d'expliquer ici ce que les chercheurs n'ont pas pu nous affirmer avec certitude.
Certaines versions trouvées en Loire-Atlantique ont des couplets supplémentaires qui vont bien dans les sens d'un second degré. Celle notée pour Armand Guéraud à Blain précise:
Je m'en irais dansant,
Je m'en irais chantant
avant de passer à l'action contre le marié. Dans une version du Pays de Retz la finale donne :
J'enlèv'rais la mariée
Tous les gens de la noce
Seraient bien attrapés
Le plus souvent la chanson se termine avec le couplet je tuerai le marié...
A partir de là, les derniers couplets de notre chanson s'articulent différemment des précédents. Ce qui laisse supposer un ajout effectué par une personne qui ne trouvait pas très moral de finir sur un meurtre et un enlèvement !

notes
1 - Anthologie du patrimoine oral de Loire-Atlantique – double CD/livret édité par Dastum 44 pour ses 20 ans en 2012 (cf. page éditions)
2 – J. Bujeaud, chansons populaires des provinces de l'ouest, tome 2 page 4 (1895) – L. Pineau, le folklore du Poitou, page 221 (1892)
3 – J. Poueigh, chansons populaires des Pyrénées françaises, page 287 (1926)

interprète : Janig Juteau, avec Janick Péniguel, Liliane Berthe et Christine Dufourmantelle
source : Janig Juteau – chanson apprise de son père, Maxime Hervy, au Croisic - Ce rond du Croisic figure dans le tome 4 (p. 77) des chansons du pays guérandais, de Fernand Guériff , édité en 2013 par Dastum 44 et le Parc naturel régional de Brière.
catalogue P. Coirault : La fille que l’on a gardé sept ans enfermée (Demandes en mariage… - N° 4812)

Gai rossignolet du bois
(rond du Croisic)

Gai rossignolet du bois, ô gué lon la ( bis )
Apprends-moi ta chanson, lire lon lire
Apprends-moi ta chanson, lire lon la

Dis-moi s'il fait bon aimer
Fillette à marier

J'en ai gardé une sept ans
Dans ma chambre enfermée

Ah, si je savais le jour
Qu'elle serait mariée

Je prendrais mes beaux gants blancs
Ainsi qu'ma belle épée

Je tuerai le marié
J'aurais sa mariée
Le soir à mes côtés

Mais si tu voulais, fillette
Me laisser t'épouser
Je n'aurais pas à tuer

La fillette était trop belle
Mon rêve trop insensé
D'en faire ma mariée

Le rossignolet du bois
S'est remis à chanter

Et moi, j'en ai pleuré.

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