vendredi 27 janvier 2017

185 – Dans les faubourgs de Guérande

Dans la chanson de la semaine dernière il était beaucoup question de couleurs de cheveux. Ce sera encore le cas cette semaine, mais cette fois le choix sera plus facile. D'entre trois sœurs c'est la plus jeune qui a de magnifiques cheveux qui lui pendent jusqu'au talon. Cette blonde a un prénom bizarre. Il est vrai qu'on en voit aussi de toutes les couleurs à l'état civil.
L'histoire est bien connue dans toutes les régions et particulièrement dans l'ouest. Nous en avons retrouvé de nombreuses versions dans nos archives sonores et dans les autres collectes. Celle ci vient de la presqu'ile guérandaise. Son refrain « verse à boire » ne laisse aucun doute sur son usage.
Pour écouter la chanson et lire la suite


De ces trois sœurs, les deux premières ne jouent qu'un rôle mineur. Elles aussi sont affublées de prénoms qui varient d'une version à l'autre, avec une préférence pour Jeanne et Louison. Mais l'héroine de la chanson s'appelle Cœur de rose. On trouve parfois Fleur de rose, plus rarement Marguerite ou Jeanneton. Et encore plus rarement Alison, Augusta ou Fleur d'orange ! Cœur de rose c'est un beau nom, mais peut-être pas très facile à porter ; les parents ne sont décidément pas raisonnables.
Que ce soit la mère ou le frère qui lui tressent les cheveux, la principale information c'est qu'elle va quitter la maison. Bien souvent ce sont des soldats – ici, des marins - qui l'emmènent. Parfois c'est tout simplement son amoureux qui vient la chercher. Dans tous les cas cela ressemble à un rapt.
L'histoire a, ici, un goût d'inachevé. Elle est partie et on attend la suite. Ce que la version de Constance Crusson ne nous dit pas nous allons le retrouver dans le répertoire d'autres chanteurs :
Dans certains cas c'est donc l'amoureux qui enlève Cœur de rose sur son haquenée ; preuve que ce jeune homme n'a pas les moyens. Il fait moins figure de prince charmant enlevant la belle sur son fier destrier que de Loulou du coin la montant sur le porte-bagage de sa mobylette d'occasion. Peu importe, on imagine que l'histoire finira bien.
Deuxième possibilité, beaucoup plus fréquente, ce sont des soldats qui entraînent la belle aux longs cheveux. L'aventure s'annonce moins romantique. On se retrouve un peu dans la situation de la belle obligée de ruser « pour son honneur garder ». Mais alors le voyage se termine soit par l'abandon de la fille soit par un séjour à Paris dans une maison. De quelle genre de maison s'agit-il ? Une maison qui a été close avant d'être fermée !Certains chanteurs ne laissent aucun doute et « boxon » fournit une assonance en on très acceptable.
Quand il n'est pas question de maison la belle peut échouer au régiment ou, pour être en accord avec la rime, en garnison (ou dans les dragons).
Quelques versions de notre chanson de la semaine dernière (le coq qui chante) contiennent cet avertissement :
Vous qui prenez des femmes n'allez pas à Paris
La « morale » de celle ci serait-elle guidée par le même message ? Séduite et abandonnée ou pire, tel serait le sort des jeunes filles trop confiantes prêtes à suivre le premier venu. Dans ce cas, la capitale, n'a plus son rôle valorisant habituel mais celui du lieu de perdition. L'émigration parisienne pour les jeunes de nos campagnes est depuis longtemps un sujet d'inquiétude pour les parents. Passe encore de voir un fils y tenter sa chance ; pour une fille le risque est plus grand. Si là n'est pas le sujet principal de la chanson, on sent malgré tout un certain message caché dans ces derniers couplets. Message absent de l'interprétation de Mme Crusson puisque ce sont des marins qui enlèvent Cœur de rose pour une destination inconnue.
Si Guérande, la cité du sel (1), tient la vedette dans cette histoire, on trouve aussi bon nombre de versions qui la situent dans les faubourgs de Nantes.

notes
1 - histoire de faire encore plus couleur locales certaines des chansons collectées en pays de Guérande présentent l'amoureux comme un saunier.

interprète : Daniel Lehuédé
source : Constance Crusson, de La Baule (Loire-Atlantique) collectée en 1989 par Roland Brou
catalogue P. Coirault : La belle dont les cheveux viennent jusqu’aux talons (Rapts – N° 01329)
catalogue C. Laforte : La belle aux cheveux tressés (1-M-05)

Dan les faubourgs de Guérande

C’est dans les faubourgs de Guérande (bis)
Dans la plus haute maison, verse à boire
Dans la plus haute maison, verse à boire et buvons donc

Là où il y a trois jolies filles (bis)
Bonnes à marier soit dit-on, verse à boire
Bonnes à marier soit dit-on, verse à boire et buvons donc

Y’en a une qui s’appelle Jeanne (bis)
Et l’autre belle Jeanneton, verse à boire
Et l’autre belle Jeanneton, verse à boire et buvons donc

Et l’autre petit Cœur de Rose (bis)
Cœur de Rose c’est un beau nom, verse à boire
Cœur de Rose c’est un beau nom, verse à boire et buvons donc

Elles ont tout’s trois de beaux cheveux jaunes (bis)
Qui leur surpassent les talons, verse à boire
Qui leur surpassent les talons, verse à boire et buvons donc

C’est son p’tit frère qui leur les tresse (bis)
Brins à brins, à trois cordons, verse à boire
Brins à brins, à trois cordons, verse à boire et buvons donc

Lui dit : ma sœur, vous êtes belle (bis)
Les soldats vous emmèneront, verse à boire
Les soldats vous emmèneront, verse à boire et buvons donc

Les soldats n’emmènent point les filles (bis)
Ils enlèvent que les garçons, verse à boire
Ils enlèvent que les garçons, verse à boire et buvons donc

La parole ne fut pas dite (bis)
Les marins plein la maison, verse à boire
Les marins plein la maison, verse à boire et buvons donc

Ils ont enlevé p’tit Cœur de Rose (bis)
La plus belle fille du canton, verse à boire

La plus belle fille du canton, verse à boire et buvons donc.

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