lundi 27 octobre 2025

489 - A Trégaté il y a un garçon, une fille

Le refrain de cette chanson est une belle déclaration d'amour. Rien que pour cela elle donne envie de la chanter. Ce serait oublier un peu vite que les chansons d'amour qui finissent bien sont plutot rares. Celle ci n'échappe pas à la règle. Si les deux protagonistes se retrouvent symboliquement unis dans une version de « l'amour plus fort que la mort », gageons qu'ils auraient préféré profiter plus longtemps de leur séjour terrestre. Mais le poids de la tradition est là et, nous allons le découvrir, ça vient de loin.

Pour écouter la chanson et lire la suite: 

Le début de la chanson nous éloigne un peu de nos séjours précédents (1). Pas tant que ça en fait ; à peine deux ou trois kilomètres. Il nous entraine dans les villages de Batz sur mer. Si certains chanteurs (2) situent l'action à Trégaté, Jean Rivalant, dont nous avons retenu la version, la situait tantôt à Kervalet (500 mètres plus loin), tantôt « Derrière chez nous il y a... ». Ces détails ont peu d'importance, comme nous allons le voir, si ce n'est qu'ils nous indiquent l'origine de cette chanson qui peut, bien entendu, se danser en rond paludier.

Pour le reste, c'est à dire le texte, la provenance géographique n'a que peu d'importance. Bien que ce thème soit connu dans toute l'Europe et sans doute au delà, peu de versions en français semblent recueillies en dehors des régions de l'ouest. Encore moins nombreuses sont celles qui localisent les faits (à Lorient, à Fontaine la jolie...). Car ce thème des plantes qui, partant de deux sépultures, poussent au point de recouvrir une ville, est présent dans tellement de traditions orales, contes ou chansons qu'il serait vain et fastidieux de vouloir tout recenser. Ce thème, « c’est ce que l’on trouve dans la légende de Tristan et d’Iseult, dont on suppose parfois qu’elle en est la source, mais il n’y a aucune preuve qu’elle soit plus ancienne dans les romans que dans la ballade » (3). Dans cette légende, le roi Marc fait inhumer les corps des deux amants en Cornouaille l’un près de l’autre. Une ronce pousse et relie leurs tombes. D’autres disent que c’est un rosier qui fleurit sur la tombe d’Iseut et une vigne qui orne celle de Tristan. Dans notre chanson la vigne est toujours présente, l'olive a remplacé la ronce. Costantino Nigra, le folkloriste italien du 19è siècle (4), a énuméré les plantes qui poussent sur les tombes des amants selon le pays d'origine des chansons. Un bel inventaire : en France, outre l'olive et la vigne, l'épine (ronce) et la rose ; on retrouve cette dernière à peut près partout. En Angleterre et en Ecosse s'y ajoutent le bouleau. En Piémont italien ce sont la grenade et l'amande. Dans les pays du nord de l'Europe on trouve tilleuls, lys, œillets et rue. Dans les pays slaves les pins et la vigne et pour les contrées plus méridionales orangers, citronniers, palmiers et cyprès. Quelle que soit l'essence citée on s'en sert rarement dans la construction navale. C'est donc bien ce gigantisme exceptionnel et merveilleux qui symbolise cet amour qui transcende la mort des deux jeunes gens. Il est si fort qu'il peut, sinon déplacer les montagnes, du moins permettre la construction de trois navires. Car tout va toujours par trois dans la tradition !

Comme le rappele la citation de F. Child, on peut se demander si l'origine de la chanson doit à la légende de Tristan et Iseut ou à des contes populaires plus anciens. Dans d'autres versions recueillies près de chez nous on trouve des couplets, absents ici, et qui intriguent. Albert Poulain comme Abel Soreau (entre autres) ont des exemples qui débutent par :

Mon père avait un gars et ma mère une fille

Patrice Coirault en a recueilli une autre version qui poursuit ainsi :

Le roi battait son fils, la reine battait sa fille

Le fils du roi est mort, la reine en est guérie

Encore une fois on peut se retrouver plongé dans la légende, avec les misères que se font subir les protagonistes du texte médiéval à leurs enfants et conjoints. De même cette insistance à vouloir construire des bateaux ne serait-elle pas un lointain souvenir d'Iseut venant au secours de Tristan à bord d'un bateau à la voile blanche ?

Certes, nous direz vous, c'est bien joli tout ça mais on s'éloigne beaucoup des villages de Kervalet et Trégaté. La chanson finit par un appareillage pour Bordeaux ou La Rochelle, ainsi que, plus modestement, pour le port de Saint Michel, au Bourg de Batz, surtout connu de nos jours pour sa plage St Michel. Ce sera bien suffisant pour une sortie en mer en amoureux. Vous noterez au passage que les trois derniers vers sont passés d'une assonance en « i » à une assonance en « el ». Il est habituellement d'usage de « promener ma mie ».

A vous de chanter maintenant sans trop vous préoccuper de tout cela. Et « en dedans !  ». Eh oui, c'est un rond paludier.

J-L. A.


notes :

1 – voir chansons n°484 et 486, toutes deux situées dans le bourg de Saillé.

2 – Michel Robert, Monique Messager pout Trégaté, Jean Rivalant pour Kervalet. Tous les détails sont dans la base Dastumedia

3 - Francis James Child, The English and Scottish Popular Ballads, v 1, p 98, Dover Publications, New York 1965.

4 - Canti popolari del Piemonte - Costantino Nigra (Turin 1888) – chanson n°18 page 125 « le due tombe »


interprètes : Nicolas Largy , réponses : Roland Guillou, Hervé Crusson, Yannick Elain

source : Jean Rivallant de Kervalet en Batz sur Mer, enregistré en 1974 par Francine Lancelot et en 1994 par Roland Guillou et Robert Bouthillier

catalogue P. Coirault : L'olivier dont on fait trois navires (n° 00215 – fantaisistes)

catalogue C. Laforte : L'olive qui a couvert la ville (I, B-23)


A Trégaté l’y a un garçon, une fille (bis)

Ils s'aimaient tous les deux d'une extrême folie, La

J'aimerai toute la vie la belle qui m'aimera (2 fois)


Ils s'aimaient tous les deux d'une extrême folie


Le mal est parvenu qui les a fait mourir


Où enterrerons nous ce couple si gentil.....


Nous les enterrerons au beau milieu d'la ville...


Sur la tombe de la fille on plant'ra une olive....


Sur la tombe du garçon on plant'ra une vigne...


La vigne a tant poussée qu'elle a couvert la ville


De la taille de vigne on fit trois beaux navires


L’un ira à Bordeaux et l’autre à La Rochelle


Et le troisième ira dans l’port de St Michel


Et il en sortira pour promener ma belle.

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