Faisons une pause dans les chansons qui racontent une vraie histoire et laissons nous entrainer à nouveau dans le répertoire des formules courtes. Ces chansons se contentent d'un couplet / refrain répété en suivant des nombres croissants ou décroissants. Elles servent aussi bien dans les situations de danse que pour le chant à la marche. Si ce dernier a perdu sa fonction originelle (la faute à la bagnole?) il est toujours présent dans nos loisirs, avec les balades chantées organisées par diverses associations. Une façon comme une autre de faire revivre un style souvent ignoré et qui gagne à être connu.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Les chansons à compter ou à décompter n'ont pas retenu l'attention des collecteurs « classiques », ceux d'avant guerre qui n'avaient que la publication écrite pour nous faire profiter de leurs collectes. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce désintérêt.
D'abord, dans un contexte de recherche des « poésies populaires de la France » ces couplets restreints, inlassablement répétés de dix ou neuf à un, n'avaient pas la valeur des complaintes ou des chansons qui nous racontent une histoire. Tout au plus quelques ouvrages en incluaient comme une forme de bouche-trou ou de supplément . L'arrivée de moyens techniques permettant l'enregistrement de terrain a favorisé la collecte de ces formules courtes.
Ensuite, certaines de ces chansons pouvaient apparaître comme des fragments d'un texte plus complet. Ainsi, quand on entend :
A Saint Nazaire viennent d'arriver, dix beaux navires chargés de blé...
on s'attend à suivre un marchandage dont le dénouement est bien connu, mais pas à une répétition où neuf navires, puis huit, sept...viennent à quai sans proposer de suite. Il y là une certaine frustration. Cependant, il ne s'agit que d'exemples peu nombreux par rapport à la masse de ces chansons.
Enfin, pour les chanteurs-chanteuses qui ont l'habitude de ces dizaines, elles ne constituent qu'un genre mineur ; des chansonnettes, par rapport aux vraies chansons qui font la fierté d'un répertoire.
Une autre raison qui peut expliquer le peu de place réservé aux chansons à décompter dans les catalogues (Coirault, Laforte...) c'est leur rayonnement géographique limité. Les chansons de neuf viennent d'Aquitaine ou du Languedoc et sont quasiment toutes en occitan. Les chansons à la dizaine font partie de la tradition orale de Haute-Bretagne et des territoires limitrophes, Vendée, Anjou...Mais bien plus rares ailleurs.
Jusqu'ici personne n'a songé à en effectuer un recensement complet sinon exhaustif (1). Il y a là un travail intéressant et utile. Avis aux amateurs : le sujet est vaste.
Nous avons donc ici deux de ces
dizaines enchainées, comme cela se pratique couramment aujourd'hui,
sans doute pour ne pas lasser l'auditeur et provoquer un regain
d'intérêt ou une relance, dans le cas de chansons à danser par
exemple. Mais nos deux airs sont interprétées comme chansons à la
marche. Le chant pour accompagner les déplacements quotidiens en
milieu rural est attesté par de nombreux interprètes enregistrés
depuis l'arrivée des magnétophones et de leurs évolutions
ultérieures. Parmi les occasions plus spécifiques de chanter « à
la marche » se trouvaient les cortèges de noces et les
tournées de conscrits. La première des deux marches fait partie de
ce dernier répertoire. Si les chansons liées à la conscription
sont souvent joyeuses, allant parfois jusqu'à la grivoiserie,
d'autres expriment le regret d'être éloigné de sa bien aimée pour
une durée beaucoup trop longue.
La deuxième marche n'entre pas
pas une catégorie particulière. Elle met en scène des animaux
qui sont souvent présents dans ce répertoire. Les gallinacés
tiennent la vedette dans ces dizaines. Seuls les moutons essaient de
leur faire concurrence. La plus connue de ces dizaines proclame :
Ma poule n'a plus que dix poulets
La suite propose une variété de refrains parmi lesquels :
- Elle en a eu trente, la poule à ma tante, ou,
- Elle en a eu trente, la moitié de soixante
- La poule à ma tante, allongeons la jambe car la route es longue
- Dix poulets du monde, marchons à la ronde
Etc, etc. Sans oublier, bien sur, les chansons plus complêtes comme « La poule à Colin » ou « le coq Martin », « le coq qui chante sur le pont de Nantes » ainsi que la troublante histoire du « coq et de la poulette » (2).
Nous ne parlons ici que de chansons à décompter (de 10 à 1). Il existe aussi quelques chansons, beaucoup plus rares où les nombres vont croissant. Bien plus difficiles à maitriser si l'interprète ne se fixe pas de limite !
J-L. A.
notes :
1 - A notre connaissance, en dehors d'une étude réalisée par Yves Defrance en 1988 : « Le genre court en littérature orale : Chansonnettes de Haute-Bretagne » pour l'association La Bouëze.
2 – respectivement présentes dans ce blog sous les numéros: 103 (04/2015) – 184 (01/2017) - 479 (04/2025)
interprètes : Janick Péniguel, réponses : Annick Mousset, Aurélie Aoustin, Frédérique Pipolo
sources : - collectage de Jean Renaud en 1971 à Ligné (interprète non précisé)
Y a plus qu’dix filles dans la Touraine
Adieu la belle puisqu’on m’emmène (bis)
Adieu mon petit coeur mignon puisqu’on m’emmène en garnison
Adieu mon petit coeur chéri puisqu’on m’emmène bien loin d’ici
J’ai plus qu’dix poules à vendre mais personne les demande (bis)
Sont-elles de vert sont-elle de gris ? Oh laissez-moi passer ici !
Sont-elles de violette mes poules, sont-elles de violette ?
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