samedi 23 juillet 2022

424 - Pierre était à la guerre

 Par bonheur, les chansons ayant pour cadre les combats et autres campagnes militaires ne finissent pas toutes dans des circonstances tragiques. Il en est qui connaissent une fin heureuse. Si nous prenons l'initiative de chanter celle ci c'est aussi pour contrebalancer les effets mélodramatiques des quelques complaintes déjà entendues. Ce qui ne veut pas dire que tout se passe bien pour les deux amants se retrouvant après une longue absence. Il faut ménager le suspense pour arriver à un dénouement favorable.

pour écouter la chanson et lire la suite :

Pour savourer pleinement cette chanson, il faut se référer à nos précédentes publications sur le même sujet. Les chansons mettant en scène des combattants redoutant le pire, comme « Adieu ma bonne Julie » (n° 405 – février 2022) ou dictant leurs dernières volontés comme « Rose, l'intention de la présente » (n° 406 – mars 2022). Ces deux là versent dans le mélo sans espoir de retour. Adieu la vie, adieu l'amour... comme le dit le célèbre refrain de la chanson de Craonne. Pour une fois nous bénéficions d'un retour avec une fin heureuse. Il n'est pas inutile de le préciser car les retours virent parfois au tragique. C'est le cas de « la femme aux deux maris » (n° 412 – avril 2022). Nos publications récentes ont sans doute été influencées par l'ambiance guerrière qui règne depuis quelques mois. Estimons nous heureux de trouver dans le répertoire des textes qui ne finissent pas en tragédie.

Pourtant tout n'est pas si simple dans cette aventure. Le soldat de retour au logis veut mettre à l'épreuve les sentiments de sa bien aimée. Peut être a-t-il entendu les chansons du pauvre marin revenant de guerre, telle celle des « trois jeunes soldats » (n° 248 – mai 2018). Pour s'éviter une désillusion il préfère savoir si l'accueil qui lui sera réservé récompensera son attente. Le procédé qui consiste à mettre une personne à l'épreuve en se travestissant ou en se faisant passer pour un autre n'est pas si rare dans la chanson traditionnelle. Voyez par exemple le subterfuge utilisé par « l'amant confesseur » (n° 316 – novembre 2019). Hélas, ce n'est pas sans risque. Dans la chanson « Au lever de l'aurore » (n° 167 – septembre 2016) la cupidité des parents se retourne contre celui qui n'a pas voulu se faire reconnaître. Le risque, au cas présent, est double : d'abord que Rose refuse un amant tellement diminué ; ensuite qu'elle prenne mal le procédé employé pour la tester. Heureusement, le dernier vers coupe court à toute récrimination.

Cette chanson présente donc bien des similitudes avec les précédentes. En particulier avec celle où l'agonisant écrit à Rose, sa payse. Certes le prénom est le même, mais les détails eux aussi sont des poncifs de ce type de récit : campagne lointaine, bras arraché, croix d'honneur...sont des classiques du genre. Pourtant, contrairement à ces autres textes, nous n'avons pas trouvé de correspondance pour celui-ci. Il figure dans les manuscrits d'Abel Soreau, folkloriste nantais de la fin du 19è siècle. Celui ci préparait une suite à la publication des six premiers volumes de ses « vieilles chansons du pays nantais » réalisés entre 1901 et 1908 (1).

Les conflits du dix neuvième siècle ont inspiré bien des chansons, depuis les guerres de l'empire et jusqu'aux confrontations qui ont émaillé les luttes d'influence en Europe et ailleurs. Certaines reprennent des thèmes plus anciens parfois adaptés aux circonstances. D'autres sont typiques de la période, dans la forme comme dans le fond.

Promis, la prochaine fois nous renouerons avec la chanson d'amour. Ce qui ne garantit pas forcément que ce soit moins saignant.


notes

1 - Patience, ça vient. La publication de l'intégrale de ces chansons est prévue en fin d'année. Ces quelques extraits n'en sont qu'un aperçu.


interprète : Jean-Louis Auneau

source : Abel Soreau, carnets conservés à la bibliothèque municipale de Nantes – origine non précisée (1907)


Pierre était à la guerre et sa promise, Rose

Attendait son retour près de la porte close

Par un matin d'avril, elle entendit des pas ;

Qui vient, s'écria-t-elle, en frémissant tout bas ?


C'est moi, dit le marin : moi Pierre, qui t'adore ;

Mais attends un instant, ne m'ouvre pas encore ;

Car je n'sais si de moi à présent tu voudras.

Rose, ton amoureux, hélas ! N'a plus qu'un bras


Mais Rose répondit : entre vite mon Pierre !

Si la guerre t'a meurtri, je n'en veux qu'à la guerre.

Si tu n'as plus qu'un bras, moi, j'en ai toujours deux,

Je travaillerai double et nous serons heureux.


Merci, dit le marin, d'une voix indécise ;

Mais c'n'est pas encore tout, ma Rose, ma promise ;

Un boulet m'a coupé la jambe droite aussi ;

Je n'ai pu qu'à grand' peine arriver jusqu'ici.


Mais Rose répondit : entre vite mon Pierre !

Si la guerre t'a meurtri, je n'en veux qu'à la guerre.

C'est ton cœur que j'aimais, et puisqu'il m'est rendu,

Je saurai te donner le bonheur qui t'es dû.


Merci dit le marin, d'une vois plus sonore.

Puis il entra soudain tout en tremblant encore.

Rose regardait Pierre, et, poussant un grand cri,

S'affaissa dans les bras du gas au teint bruni.


Celui qu'elle voyait à la grande lumière

C'était lui, son promis, c'était lui, son beau Pierre

Robuste et souriant, comme au jour du départ,

Comme elle l'avait gardé dans son dernier regard.


Alors, Rose, le voyant aussi droit que naguère,

Avec la croix d'honneur près de sa boutonnière,

Lui dit Pierre, c'est mal, tu voulais m'éprouver !

Il répondit gaîment : je reviens tout entier !

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