samedi 4 septembre 2021

383 - Le mal de dents

 Quand une jeune fille tombe malade dans une chanson traditionnelle, ça sent souvent le sapin. Mais quand elle se plaint juste d'avoir mal aux dents, ce n'est pas pour nous faire découvrir les méthodes ancestrales des arracheurs de dents. C'est à tout coup pour ne pas nous avouer directement que son mal se situe ailleurs. « Elle court, elle court la maladie d'amour » comme le dit si bien Michel S... chanteur beaucoup moins traditionnel et beaucoup plus contemporain. Et voilà pourquoi, contrairement à la fameuse chanson « sans calcium » des Frères Jacques, celle ci ne sera jamais remboursée par la sécurité sociale.

Pour écouter la chanson et lire la suite :

Mal de dents ou mal d'amour ? La métaphore est aussi ancienne que cette chanson dont le premier recueil daterait de 1731. La formule elle même semble bien antérieure. A cette époque, la seule façon de soigner les dents tient plus de la torture que de la médecine. La méthode est toujours la même : on arrache. Ainsi, en Bretagne, et sans doute aussi ailleurs, les arracheurs de dents se recrutaient fréquemment parmi les forgerons. Toujours est-il que le « médecin très savant » de notre chanson opère en chambre et plutôt sur un lit que sur un fauteuil. Sa méthode de soins consiste parfois à proposer un onguent, où, comme ici, à utiliser « un tout petit instrument ». Voilà qui semble un peu péjoratif. Une version collectée en Mayenne (1) est bien plus explicite et réaliste :

Lui montra tous ses outils, déploya ses instruments 

Et lui mit le plus grand dedans sa creuse dent

Derrière cette chanson grivoise se cache aussi un mythe assimilant le sexe féminin à une bouche. Un phénomène bien connu en psychanalyse pour expliquer l'angoisse de castration. On retrouve en effet cette comparaison dans plusieurs chansons traditionnelles.

En recherchant les différentes versions connues de cette histoire on peut en identifier trois scénarios principaux. Ils ne varient guère qu'après que le « guérisseur » soit passé à l'acte ; mais suffisamment pour les distinguer. Il y a d'abord le final le moins optimiste. La jeune fille se plaint de l'intervention qui, loin de soulager son mal, va entraîner des conséquences fâcheuses quelques mois plus tard. Dans le second scénario, le praticien est remplacé par l'amant de la jeune fille qui lui fait simplement oublier son mal de dents en lui faisant l'amour. Enfin, le scénario le plus fréquent est celui du médecin tellement efficace qu'on lui demande d'intervenir aussi pour d'autres membres de la famille, sœur ou cousine.

Cette affaire donne souvent lieu à des développements – si l'on ose dire – absents de la version chantée par Marie Barthelemy, que vous pouvez retrouver sur le double CD consacré au répertoire du pays de Chateaubriant (2). Voilà pourquoi la chanson que nous vous proposons a été complétée par celle qu'interprète Mathieu Hamon sur le CD « chansons amoureuses de Bretagne ». Nous avons ainsi obtenu un montage entre deux des trois scénarios décrits ci-dessus.

Ailleurs on voit parfois « l'acte médical » tarifé tantôt 500 livres, ou un ceinturon d'argent...ainsi, bien entendu, que « mon cœur en gage ».

Mais le plus souvent il n'est pas question de rétribution. Si ce n'est que la jeune fille propose à son guérisseur :

Mais j'ai un' de mes cousines

Qui a le même accident.

Quelle aubaine pour le garçon qu'on entend parfois s'exclamer :

Amenez m’en à la douzaine,

plus j’en ais plus je suis content

mais déchante aussi en certaines occasions :

Laissez là votre cousine.

Ma burette n'a plus d'onguent,

Eh oui ! Il y a tout de même des limites aux meilleures capacités médicales.


Notes :

1 – Ecoutez, gens de Mayenne (Mayenne culture/Aedam musicae – 2016) pages 239 et 240

2 - Pays de Chateaubriant, chanteurs, sonneurs et conteurs traditionnels – collection « la Bretagne des pays » (Dastum DAS 165 – 2017) . Cf rubrique « nos éditions »


interprète : Janick Peniguel

source : d'après la version de Marie-Josèphe Barthélémy, de Sion-les-Mines, enregistrée par Patrick Bardoul, Robert Bouthillier et Lydie Pécot, le 27 février 1991, avec emprunts à la version chantée par Mathieu Hamon et apprise de M. et Mme Colin.

catalogue P. Coirault : La guérison du mal de dents (Galants las, belles pas – N° 11705)

catalogue C. Laforte : Le mal de dents enlevé (1-O-05)


Le mal de dents


C'était une jeune fille qui se plaignait des dents, qui se plaignait des dents

S'en alla dans la ville oh que j'ai mal aux dents, oh la, la, mes dents

Oh, que mes dents m'y font du mal, il y a longtemps


S'en alla à la ville, oh que j'ai mal aux dents, oh que j'ai mal aux dents

Sur son chemin rencontre un médecin bien savant, oh la, la, mes dents…


Sur son chemin rencontre un médecin bien savant...


Il lui demandit belle, belle qu'avez vous aux dents...


Montez y dans ma chambre, j'vous guérirai vos dents...


Quand elle fut dans la chambre la mit sur son lit blanc...


Il sortit de sa pochette un tout petit instrument...


Poussez, poussez dit-elle, je ressens du soulagement...


j'ai bien douze de mes sœurs qui voudraient n'avoir autant...


Mais au bout de neuf mois vint un petit enfant,....


Il sera comme son père un médecin bien savant...


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