dimanche 22 novembre 2020

361 - Ma Louison

 Entre « toute peine mérite salaire » et « chose promise chose due » cette chanson est un nid à proverbes. L'histoire est bien connue et son déroulement n'apporte aucune surprise. Si ce n'est que la version que nous vous proposons à un léger goût d'inachevé. Voilà pourquoi nous la traiterons un peu comme ces histoires dont vous êtes le héros, où on vous laisse choisir la suite. Il est vrai que les chansons de bergères, que la tradition a conservé par dizaines, offrent souvent des alternatives : amoureux comblé, monsieur moqué ou rabroué. Voyons comment celle-ci hésite sur son dénouement.

Pour écouter la chanson et lire la suite :

Sans nous appesantir à nouveau sur le thème des chansons de bergères, quelques précisons sont nécessaires. Ces chansons sont toujours basées sur l'opposition entre deux personnages qui symbolisent le grand écart des conditions sociales. Tout en bas de l'échelle la bergère est le caractère le plus vulnérable : très jeune et très pauvre, rurale, peu évoluée, mais pleine de bon sens. A l'opposé, le monsieur, bourgeois ou aristo quand ce n'est pas un personnage de sang royal : riche, plus âgé, citadin et prêt à se laisser prendre aux ruses de la jeune fille. On est loin des bergeries idéales de Marie-Antoinette et beaucoup plus proches des doléances du petit peuple.

Bref, cette chanson n'échappe pas aux règles du genre, quoique la profession du personnage masculin est ici moins valorisante que bien d'autres. C'est un « forestier » qui vient au secours de la bergère victime du loup ; c'est à dire un genre de « petit chef » chargé de la surveillance ou de la gestion d'un domaine. Le rapport entre les deux reste donc, malgré tout, de dominant à dominé. Dans d'autres versions de cette chanson c'est un cavalier, un beau seigneur ou même le fils du roi qui viennent à son secours.

Le loup, malgré la réalité de ses méfaits dans les campagnes, n'est là lui aussi qu'à titre symbolique. Il personnifie les malheurs des classes populaires. Non seulement gagner son pain est difficile mais chaque aléa de la vie rajoute encore des difficultés. Le forestier a donc le beau rôle en se posant en sauveur et il essaye d'en profiter.

La version de cette chanson que nous avons choisie est assez courante dans les collectes réalisées dans notre secteur. Mais elle nous laisse un peu sur notre faim, car nous savons que d'autres proposent des développement supplémentaires à cette affaire. Tout le monde a en mémoire la répartie habituelle de la bergère qui, pour échapper au séducteur lui déclare :

Quand ma brebis sera tondue

Vous en aurez la laine

Évidemment, le sauveteur ne l'entend pas de cette oreille. Il a bien interprété la promesse de la bergère et ne se prive pas de lui faire savoir :

Je ne suis point marchand drapier

Ni tricoteur de laine

belle je veux tes amitiés

Ou j'en mourrai de peine (1)

Ceci exprimé galamment, dans le meilleur des cas et plus sûrement :

Ce n'est point ça la belle

Que nous vous demandons

C'est votre petit cœur en gage

On sait ce que cette expression signifie. Certains récits s'arrêtent là ; d'autres nous offrent une conclusion plus élaborée. La bergère finit parfois par céder et accorde un « doux baiser » en prenant ses précautions :

Prenez en un prenez en deux...

Mais quand vous m'aurez bien baisée

Cavalier mon ami, N'allez pas le répéter

Et pourquoi donc ? La réponse a déjà été entendue dans d'autres chansons :

Parlez moins haut mon beau monsieur ma mère est aux écoutes

S'il fallait qu'a vous entendait, a me battrait sans doute (2)

Autre fin possible et encore assez fréquente : le refus de la bergère est motivé par son amour pour un autre :

Mon petit cœur n'est pas pour vous,

Il est pour Pierre que j'aime.

Dans les versions recueillies en Italie (3), dans la région du Piémont, le rejet du « gentil galant » est justifié par un engagement encore plus fort :

Je ne peux vous donner un seul baiser / je suis déjà mariée

Et si mon mari le savait / je serais bâtonnée

Et la bergère de montrer l'anneau qu'elle porte au doigt pour prouver sa bonne foi.

Comme on le voit les épisodes de cette chanson sont nombreux et proposent quantité de conclusions possibles. Elle a si souvent été recueillie qu'on n'a que l'embarras du choix


notes

1 - versions publiées entre autres par Armand Guéraud (chants populaires du Comté Nantais et du Bas-Poitou, vol. 1, p. 274)

2 - version recueillie à Saint Nazaire, publiée par Fernand Guériff : le trésor des chants populaires folkloriques du pays de Guérande, vol. 4, p. 46 (éd Dastum 44/Parc Régional de Brière)

3 - traduction approximative – Costantino Nigra qui en présentait plusieurs versions soulignait l'origine française de cette chanson, allant jusqu'à lui trouver une source dans les Carmina Burana du XIIIè siècle.


interprète : Jean-Louis Auneau

source : Quatre vingt chansons du Pays de Retz - cahier du ménétrier Poiraud, de Pornic, fin 19è siècle.

Catalogue P. Coirault : la brebis sauvée du loup (04001 – bergère et monsieur joué)

Catalogue C. Laforte : la bergère aux brebiettes (1-J-08)


Entre la rivière et le bois (bis)

Il y-a-t-une bergère

Don ma dondon

Il y a-t-une bergère

Ma Louison


Là qui garde ses blancs moutons

Sur la verte fougère


Par là passa un gros loup gris

Emporta la plus belle


La belle cria d'un si haut cri

Sainte vierge Marie


Celui qui sauv'ra ma brebis

Aura mes amourettes


Le forestier entend cela

Met la main à son sabre


Il n'a pas fait trois tours de bois

La brebis est sauvée


La belle voilà votre brebis

J'aurai vos amourettes

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