dimanche 17 novembre 2019

316 - L'amant confesseur


La tradition orale doit beaucoup à l'écrit ! Certes, les collectes effectuées depuis que des appareils permettent la reproduction du son se comptent par milliers. Mais la consultation d'ouvrages anciens complète utilement cette manne. Elle permet de retrouver des chansons qui n'ont pas varié malgré les années. Elle permet aussi de découvrir des chansons aujourd'hui oubliées. Les cahiers de chansons calligraphiés par des paysans, des couturières, des soldats...constituent eux aussi une source non négligeable. C'est à l'un d'eux que nous devons la présente chanson.
Pour écouter la chanson et lire la suite


La page de garde du cahier de M. Aubron porte la mention “commencé le 23 janvier 1889”. Le répertoire contenu dans ses deux cahiers – récupérés dans une brocante – correspond bien à cette période. Les chansons revanchardes, sur le thème de l'Alsace et la Lorraine, y côtoient les airs à la mode et les chansons de tradition orale.
L'avantage des cahiers de chansons c'est que les textes qu'on y trouve sont, en général, bien complets. L'inconvénient c'est que la musique en est absente, hormis quelques mentions “sur l'air de...”. Au cas présent l'absence de musique a été compensée par l'existence de quelques autres collectes de cette chanson, dont certaines toutes proches. Ainsi Fernand Gueriff en a recueilli une version dans la commune du Cellier, soit à quelques kilomètres à vol d'oiseau, mais sur l'autre rive de la Loire. Pour notre ré-interprétation, les mélodies de ces versions incomplètes ont donc inspiré celle du cahier de chant.
L'histoire hésite entre le badinage et le sérieux de la confession; mais point d'aspect moralisateur dans cette histoire d'amourettes qui se termine bien (1). Encore mieux, même si on ne sait pas clairement si les amants ont” fêté Pâques avant les Rameaux”, le final laisse libre cours à votre imagination. Au passage, on laisse entendre que :
Si votre amant est bon chrétien
La chose n'est pas trop sévère
Une conception libérale des relations entre jeunes gens qui nous change agréablement de certaines chansons très austères.
La liste des péchés avoués par la charmante Iris est assez banale, hormis celui qui aurait tout gâté. Une exception: la lecture du Petit Albert, ouvrage sulfureux peu recommandé aux jeunes filles. Ce détail n’apparaît que dans cette version de la chanson. On peut supposer un ajout lié au vécu familial. L'ouvrage en question, grand succès de la librairie de colportage, était présent dans bien des maisons, mais il était assez mal vu d'en faire état en raison des pratiques de sorcellerie qu'il décrit. Parmi celles-ci, on trouve des façons d'attirer ou de repousser un(e) amant(e). Voilà qui cadre assez bien avec le thème de la chanson.
Thyrsis et Iris sont deux prénoms issus de l'antiquité grecque/romaine (Virgile, Théocrite). Ces prénoms ont-ils été à la mode au moment où la chanson a été composée ? Les plus anciennes traces écrites (env. 1700) ne permettent pas de le savoir. Ils ont été sans doute plus utilisés dans les œuvres romanesques que par les gens du peuple comme de la noblesse.

note
1 – deux chansons d'amour qui finissent bien à la suite ! Il y a du relâchement dans ce blog. Rassurez vous le drame n'est jamais loin.

interprète: Jean-Louis Auneau
source: cahier de chansons de M. Pierre Aubron du Pâtis-Malaise au Loroux-Bottereau (44) commencé le 23 janvier 1889
Catalogue P. Coirault: 1838 l'amant confesseur
Catalogue C. Laforte: II, C-1 l'amant confesseur

Un beau jour la charmante Iris
Partit pour aller à confesse
Ell' le dit à son amant Thyrsis
Qui se déguise avec adresse
S'est en allé dans son dessein
Prendre l'habit d'un capucin

Mon père je viens ici devant vous
Avec douleur et repentance
Me prosterner à vos genoux
Afin d'y faire pénitence
De tous les péchés que j'ai fait
Pardonnez les moi s'il vous plaît

Mon père j'ai juré, j'ai menti
J'ai fait souvent la paresseuse
J'ai lu dans le petit Albert
Et j'ai eu des paroles oiseuses
J'ai juré au fond de mon cœur
C'est la cause de tout mon malheur

Mon père je crois bien que c'est tout
Selon ma coutume ordinaire
Mais auparavant avec vous
J'ai une demande à vous faire
Daignez m'écouter seulement
De m'écouter un petit moment

Parlez ma fille parlez
Je suis ici pour vous entendre
Et je puis en particulier
Vous accorder les indulgences
Parlez tant que vous le voudrez
Là je suis sage et discret

Un jeune brave cavalier
Grand Dieu que je suis malheureuse
M'entretient en particulier
Au fond de mon âme amoureuse
Je l'ai trop cru pour mon malheur
Il a coûté cher à mon cœur

Ma fille que vous a-t-il dit
Pour vous marquer tant de tendresse
Vous plaisiez vous avec lui
Vous faisait-il des promesses
De crainte d'être refusé
Il m'embrassait sans me le demander

Écoutez, cela n'est pas bien
Si vous agissez de la manière
Si votre amant est bon chrétien
La chose en n'est pas trop sévère
Après cela vous me direz
S'il n'y a que celui là que vous aimez

Je n'ai jamais aimé que lui
Je n'en aimerai jamais d'autre
Je n'ai qu'un cœur, il est à lui
Je le donnerai jamais à d'autres
Je suis Thyrsis me voulez vous
Charmante Iris pour votre époux

Hélas ! Mon père que dites vous
Que c'est Thyrsis qui me confesse
J'ai grand regret d'avoir dit tout
Mais cependant j'ai eu l'adresse
D'avoir caché un seul péché
Celui qui aurait tout gâté

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