vendredi 23 mars 2018

241 - Dans la rue de Pénestin


Pourquoi les oiseaux chantent-ils toujours en latin dans les chansons traditionnelles ? Cette langue aujourd'hui considérée comme morte, était autrefois celle de l’Église mais aussi des savants, des érudits. Les oiseaux sont donc présentés comme des sages ou des philosophes exprimant des maximes dans un langage incompréhensible pour le commun des mortels. Ce qui n'a pas empêché la tradition populaire d'y prêter une signification. Voyez à ce propos les mimologismes dont quelques beaux exemples figurent sur le CD « Pays de Chateaubriant » que nous avons récemment publié (1).
Voyons maintenant pourquoi cette histoire se déroule à Pénestin.
Pour écouter la chanson et lire la suite :


La cité de Pénestin, située à l'embouchure de la Vilaine, fait partie de ces quelques communes au sud de la rivière, rattachées au Morbihan au moment de la création des départements dans le cadre de tractations entre les anciens diocèses de Nantes, Vannes et Rennes. Quel est donc cet écrivain qui loge dans le bourg ? Fernand Guériff, qui reprend cette chanson des collectes de Gustave Clétiez au 19ème siècle, a lui-même entendu cette version « chantée intégralement par Georges Lequimener, à Quimiac, en 1952 ». Il ajoute : « C'est la version originale de ce chant devenu célèbre, recueilli par Gustave Clétiez. Ce dernier l'avait communiqué (avec bien d'autres) à son ami François Delsarte, professeur de chant au Conservatoire de Paris, pour ses Archives du chant ». Originale, cette chanson l'est certainement, mais pas au sens que lui donne Guériff. Son thème et sa structure type sont bien antérieurs à la collecte de Clétiez en pays guérandais. Pour comprendre l'origine de cette chanson, le mieux est encore une fois d'en chercher d'autres versions. Nous en trouvons dans le nord et l'est de la France, en Wallonie, en Vendée et même dans le recueil d'Adèle Pichon au Bourg de Batz (2), qui débutent par : « c'est dans la rue du plat (ou du pot) d'étain ».
Il existe à Paris une rue du Plat-d'Étain, proche du quartier des halles, dans le 1er arrondissement. Elle tient son nom de l'enseigne d'une maison. On y trouvait autrefois un cabaret fréquenté par des écrivains tels que Marmontel, Diderot et d'Alembert. Voilà pour l'origine historique, qui nous permet également de dater cette version de la chanson de la seconde moitié du 18ème siècle. Car le texte lui-même est déjà connu à cette époque. Ballard l'a noté en 1724 dans ses « rondes à danser » :
Me suis levé par un matin
amour tu n'entends point
M'en suis allée dans mon jardin
Vive l'amour de ma maitresse
amour tu n'entends point
Le bout de la rue qui fait le coin
Ce « bout de la rue qui fait le coin » est d'ailleurs indiqué par Guériff comme une alternative à la dernière phrase du refrain « elle a mon cœur et j'ai le sien ».
Rien d'étonnant qu'un(e) interprète locale ait transformé en Pénestin le plat d'étain qui n'était peut être pour lui (elle) que ...du latin.
Quand à la morale de l'histoire, elle est on ne peut plus classique, opposant encore une fois les défauts supposés des hommes et des femmes. Il manque ici l'habituel :
Et les femmes encore bien moins
Mais ces arguments, on le sait, sont interchangeables en fonction de l'interprète ou de l'inspiration du moment. La version notée par Adèle Pichon nous offre en prime une autre maxime :
Que bouteille ne vaut rien sans vin
Ni treille verte sans raisin
A votre santé !


Notes
1 – voir ailleurs sur ce blog. Un double CD avec livret de 140 pages pour 17 euros ; c'est une affaire !
2 – collectée aussi au 19è ; sa mélodie est très proche, avec pour refrain :
Que les amants sont volages
Non, non, non je n'aimerai plus,
Je serai toujours sage

interprètes : Roland Guillou avec réponses de Yannick Elain, Ewen D'Aviau, Jean-Louis Auneau
source : Fernand Gueriff, tome 1 du Trésor de schants populaires folkloriques du pays de Guérande, p 119 – collecte Gustave Clétiez (1830 – 1896) et chanson de Georges le Quimener à Quimiac en 1952
catalogue P. Coirault : 2406 le rossignol et son latin
catalogue C.Laforte : 1, G-3 la belle au jardin


Dans la rue de Pénestin
Amour tu n'entends point
Il y a un écrivain
Vive le cœur de ma maitresse
Amour tu n'entends point
Elle a mon cœur et j'ai le sien

A tous les mots qu'il écrivait
Mignonne voulez vous m'embrasser ?
Non ma mère le saurait
Qui voulez vous qui lui dirait ?
Le rossignol de ces bois
Les rossignols ne parlent point
Ah si quand ils ont bien apprins
Ils parlent français et latin
Que disent-ils dans leur latin
Que les hommes ne valent rien
Pour les filles n'en disent rien


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