vendredi 27 mai 2016

154 - les amoureux sont toujours malheureux

Elle court, elle court la maladie d'amour...ça c'est pour la version « variété » de la chanson. Une version plus optimiste, sans doute due aux progrès de la médecine en ce domaine. La chanson traditionnelle se contente de professer que le mal d'amour est une maladie que rien ne peut guérir. Et cette pathologie ne date pas d'hier comme le suggère le caractère suranné des paroles de notre chanson. Elle développe des images qu'on retrouve dans les paysages d'arrière plan de tous les tableaux anciens : rochers, fontaines, vallons, peuplés de bergers et de bergères.
Cette chanson est un véritable catalogue des clichés de l'amour malheureux.
Pour écouter la chanson et lire la suite:


La similitude entre les paysages des tableaux de l'époque classique et les descriptions de cette chanson pourrait aider à la dater. On se retrouve dans cette même nature indéfinie qu'évoquent les arrières plans des tableaux idylliques. Qu'ils dépeignent des scènes de chasse ou d'amour, ils ne sont ni localisés ni réalistes. Tout comme la chanson, ils nous transportent en des lieux qui sont autant de décors d'un théâtre où se joue une scène en premier plan.
Intéressons nous donc aux arguments de ces scènes de relations amoureuses et d'abord à ceux qui sont développés dans notre chanson :
- L'amour présenté comme une maladie : le seul remède connu est l'aboutissement. Mais la jeune fille ne le souhaite pas ; d'où sa réplique : Je ne suis pas fille d'un médecin.
- Le rossignol qui chante le malheur des amoureux. Dans les chansons, ce chanteur est rarement un oiseau de malheur. Le plus souvent il exprime la joie d'aimer ; il est un confident, un conseiller ou un messager des amoureux.
- Le chantage de l'amant : faut-il mon sang il est prêt à couler. Et si cet argument ne suffit pas c'est une issue définitive à ses maux qu'il annonce : Après ma mort tu pleureras...il sera trop tard. Apparemment sans aucun effet sur la belle !
Sans aller jusqu'à des solutions aussi radicales d'autres arguments sont souvent développés dans les chansons de ce type. Voici donc quelques uns de ceux auxquels vous avez échappé cette semaine :
- L'allégorie des rapports amoureux sous la forme d'une montagne, à peine esquissé ici. L'amour « montagnard » se définit souvent par la formule : En la montant qu'on a de peine – en descendant que de soulagement
- L'abandon du monde par dépit amoureux, qui se traduit souvent par l'ermitage auprès d'une roche voisine : Je m'en irai dans un bois solitaire, finir mes jours à l'ombre d'un rocher. Moins radical que le sang qui coule et le suicide annoncé presque ouvertement dans notre version
Ce ne sont là que quelques uns de ces clichés qui hantent les chansons d'amour depuis plusieurs siècles et que les chansonniers d'aujourd'hui continuent à utiliser sous diverses formes, même quand ils sont prompts à qualifier de ringardises les chansons traditionnelles. Fontaine, bois, rocher, vallons et plaines ne sont plus hantés par les amoureux d'aujourd'hui. La peinture a elle aussi bien évolué. Elle n'exprime plus les sentiments de la même manière, mais le propos, lui, n'a guère changé.


interprète : Janig Juteau
source : Pierre et Marie Orain, de Campbon (44) collecte de Janig Juteau en 2004
Catalogue P. Coirault : les amoureux sont toujours malheureux – 00120


On m’y défend d’aller voir ma maîtresse, Dans les moments qu’elle commence à m’aimer
On m’y défend, on a beau m’y défendre de vous aimer ma charmante beauté

Quand je vous vois, je vois tout ce que j’aime, mon cœur n’a pas de moment plus heureux
En vous quittant je me quitte moi-même, je suis du rang des amants malheureux

C'est toi la belle qui cause mon martyre, n’aurais-tu pas de la compassion
Pour un amant qui pleure et qui soupire en attendant de toi la guérison

Quelle guérison veux-tu que j’y fasse, je ne suis pas fille d’un médecin,
Je ne suis pas celle que ton cœur aime, va-t-en ailleurs y chercher ton bonheur

Combien de fois j’ai passé la rivière pour y garder tes blancs moutons du loup
Et maintenant voilà la récompense que je reçois belle à présent de vous

Bien haut là-bas sur ces vertes montagnes, j’ai entendu le rossignol chanter,
Mais qui disait dans son joli langage : les amoureux sont toujours malheureux

Quand je vivrais deux cents ans dans le monde, jamais les filles n’auront mes amitiés
Je les donnerai à quelques jeunes veuves ah qui pour moi auront de l’amitié

Que faut-il donc bellerie, pour vous plaire, faut-il mon sang il est prêt à couler
Et si mon sang ne peut vous satisfaire, s’il faut ma mort vous n’avez qu’à parler

Quand j’s’rai mort, tu pleureras la belle, en regrettant ton très fidèle amant
Tu marcheras dessus ma sépulture tu pleureras, il ne sera plus temps


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