vendredi 8 avril 2016

147 - La complainte du roulier

La complainte du roulier fait partie de ces textes à caractère religieux qui donnent des leçons de morale chrétienne appuyées sur des histoires édifiantes. Elle reprend, en le développant, le thème de « Jésus Christ s'habille en pauvre », insistant sur la nécessité de faire la charité. Le Christ prenant les traits d'un humble voyageur vient au secours du roulier embourbé. Plus tard il se trouve en bute au mépris de l'hôtesse pour un mendiant. Tout comme dans la chanson de référence, la méchanceté est punie. Cette fois ce n'est pas l'aubergiste qui ira brûler en enfer mais sa femme qui est frappée d'une mort soudaine. La chanson ajoute à la morale religieuse un couplet sur l'avenir de la France ; ce qui pourrait laisser supposer une composition dans les périodes de doute et d'inquiétude qui ont suivi les chutes du premier ou du second empire.
pour écouter la chanson et lire la suite:
Une partie de cette chanson rappelle un texte de ce bon Jean de la Fontaine : « le chartier embourbé » (1). on y retrouve l'attitude du roulier qui :
...déteste et jure de son mieux
Pestant en sa fureur extrême
Tantôt contre les trous, puis contre ses chevaux
Le recours à Dieu – Hercule, dans la fable – ne donne pas la même fin. Là ou notre moraliste conclut « aides toi et le ciel t'aidera », la chanson propose une solution basée sur l'entraide.
Le thème du charretier pris dans une ornière n'est pourtant pas une invention de La Fontaine qui s'est inspiré d'Esope, comme l'avait fait avant lui Rabelais (2).
Dans la chanson traditionnelle le roulier embourbé apparaît aussi dans des textes notés par Achille Millien en Nivernais et Vincent d'Indy dans le Vivarais, où c'est la solidarité entre les rouliers qui leur permet de s'en sortir.
Roulier mon camarade, prête moi tes chevaux
Suis pris dans une ornière et bien pris comme il faut
A noter que dans la chanson collectée par D'Indy c'est le roulier de Nantes qui est victime de l'incident. Mais ceci est une autre histoire.
Le texte de notre chanson a été collecté à plusieurs reprises en Loire-Atlantique : dans les pays d'Ancenis et de Chateaubriant, de manière fragmentaire. Albert Poulain en avait recueilli une version près de Redon, elle aussi incomplète. Nous devons l'original de cette chanson à Stéphane Glotin de Campbon, lui même conteur et collecteur. Vous pouvez l'entendre sur notre double CD « Anthologie du patrimoine oral de Loire-Atlantique ». Il est plus que probable qu'elle ait été diffusée sur feuille volante, dans le style de l'imagerie populaire du 19ème siècle. Toutefois, nous n'avons pas encore mis la main sur cette source.

Notes
1 - fables de La Fontaine, livre VI, fable 19 – Fable inspirée d'Esope (« Le Bouvier et Héraklès »).
2 - dans le « Quart Livre » de Rabelais, chapitre XXI « C' est sottize telle que du charretier, lequel, sa charrette versée par un retouble, à genoiltz imploroit l'ayde de Hercule et ne aiguillonnoit ses boeufz, et ne mettoit la main pour soublever les roues » (source : lafontaine.net)

interprète : Janig Juteau
source : Stéphane Glotin, de Campbon
catalogue P. Coirault : Le roulier charitable (Charité – N° 8506)

Approchez pour entendre un fait bien étonnant
Qui va bien vous surprendre, écoutez un instant
Vous verrez les merveilles du seigneur Jésus-Christ
Chrétiens prêtez l’oreille à ce nouveau récit

La puissance suprême de Dieu notre sauveur
Apparut sous l’emblème d’un pauvre voyageur
Qui demandait l’aumône, rencontra un roulier
Par charité lui donne de quoi le soulager

Par malheur sa voiture était dans un bourbier
Il crie, il peste, il jure, il ne peut avancer
Il frappe avec outrance ses pauvres animaux
Et loin d’être en avance, rebute ses chevaux

Le pauvre lui dit : mon frère, je vais vous secourir
Calmez donc votre colère, à Dieu faut recourir
Dieu est notre espérance, ne l’oubliez jamais
Par sa toute puissance nous comble de bienfaits

La parole achevée, il prit le fouet en main
La voiture embourbée sort du mauvais chemin
Le roulier invite le pauvre bon vieillard
Du souper et du gîte, à venir prendre part

En arrivant, l’hôtesse leur prépare à souper
Ne faisant politesse seulement au roulier
Ma maison n’est point faite pour loger un mendiant
L’écurie trop honnête pour de semblables gens

Le roulier dans son âme ressentit du chagrin
Il dit : allez, madame n’ayez point de dédain
Les pauvres sont nos frères, point tant d’air méprisant
Ni mauvaises manières, servez-nous en payant

Ils se mirent à table et dînèrent tous deux
D’un air fort agréable, le roulier curieux
Demanda des nouvelles, des affaires du temps
En savez-vous de belles, parlez, je vous entends

Le ciel sera propice au bon peuple français
Que tous se réjouissent, il aura le succès
Il règnera en France la paix et l’union
Ainsi que l’abondance dans toute nation

A toutes ces paroles, monsieur, ajoutez foi
Elles ne sont point frivoles, ni basses, croyez-moi
C’est tout comme l’hôtesse dans sa chambre en entrant
Allez, cette tigresse est morte maintenant

Le roulier sort de table pour s’assurer du fait
Chose très véritable, il resta stupéfait
Sur le seuil de la porte l’odeur l’en a saisi
Car l’hôtesse était morte comme il était prédit

A l’auberge il remonte sans le moindre retard
Et va t’en rendre compte au pauvre bon vieillard
(D’une pareille crise, il en est tout ému)
Et là, double surprise, il avait disparu

Il trouva sur la table l’image de Jésus-Christ
Choses très véritable, il y avait écrit
Soulagez l’indigence des pauvres malheureux

Vous aurez récompense au royaume des cieux.

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