Les bovins sont en général assez peu compatissants pour le mauvais sort infligé aux humains. On a déjà vu le cas d'un petit moine au prises avec les difficultés de traire une vache (chanson n° 115 – juillet 2015). Voici encore une fois un garçon de ferme qui subit l'indifférence de son troupeau à ses misères. Mais ce n'est sans doute pas après les vaches que son ressentiment est le plus fort. Derrière l'ironie des paroles faut-il voir une tentative de dénoncer l'attitude des puissants, ou bien juste une moquerie de gros lourdauds campagnards ? A vous de voir.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Composite pourrait être le qualificatif le mieux adapté à cette chanson. En effet, les paroles nous donnent une version du garçon qui croit se consoler de ses mésaventures en choisissant à tort la compagnie des animaux. Mais la mélodie et le refrain sont habituellement associées à un tout autre type de chansons. Comment et à quel moment cet assemblage s'est-il réalisé ? Nul ne le sait. Cette version semble limitée à un secteur géographique incluant la Brière et d'autres cantons limitrophes. Voyons cela un peu plus en détail.
Dans ce type de chanson, ce sont les couplets finaux qui font le lien entre toutes les versions. Ils ne sont pas toujours finauds pour autant. Le galant déçu se réfugie dans son étable pour y pleurer sur son sort. Ce qui ne semble pas du goût des locataires de l'endroit qui lui chient dessus. Ici c'est sur les pieds; dans bien d'autres interprétations c'est sur la tête.
Pour en arriver là, le garçon a connu des désagréments qui se répartissent en deux catégories. Il y a celui pour qui la nuit de noces se termine en raclée :
A m'foutit sur la goule ses cinq da (doigts)
La version la plus répandue a pour cadre le bal où il a enmené sa belle. Un « monsieur » la lui souffle et malgré ses protestations, lui fiche une correction. Ce qui nous donne invariablement pour refrain :
J'aime point la nobiesse, ma.
Le fait qu'il a toujours le dessous dans la confrontation est tout a fait symbolique de l'impuissance du petit peuple par rapport aux aristos. Comme dans beaucoup de chansons, on utilise l'ironie pour se plaindre de l'attitude des puissants. Sauf qu'à trop forcer le trait, de victime le galant ne devient qu'un benêt qui ne sait pas s'y prendre ni avec les humains ni avec les animaux.
Toutes ces chansons ont en commun l'usage d'un langage semi-patoisant. Là encore ce procédé est souvent associé à de la moquerie pour un monde rural peu évolué, ce qui atténue encore la critique des agissements des « monsieurs », nobles ou bourgeois. Cependant, la comparaison de deux versions recueillies à quelques kilomètres de distance fait apparaître une utilisation de deux variantes du même « patois » (gallo en l'occurrence). Dans notre chanson toutes les terminaisons sont en « â » : à tâ, à mâ...Une autre version, chantée par Pierre et Marie Orain, à Campbon (1), utilise des terminaisons en « aï » : à taï, à maï...ce qui correspond aux variations locales des prononciations.
Enfin, il nous faut revenir aux particularités de cette chanson, à savoir la mélodie et le refrain. Suivant les deux grandes tendances que nous venons de décrire, les refrains les plus courants tournent autour de deux thèmes :
J'entends le coucou , maille, maille
et
J'aime point la nobiesse, ma
L'air sur lequel se chante cette version ci est celui d'une autre chanson type : le champ de pois. C'est l'histoire d'une fille qui, après avoir mangé des pois ou des noix, se trouve malade pendant neuf mois ! A l'origine de cette chanson, les sources écrites les plus anciennes nous donnent une partition qui a pu servir de timbre à la notre. Voyez ainsi celle copiée en 1724 par Ballard dans le recueil « Les rondes, chansons à danser » (voir ci-dessous – source : Gallica). Qui plus est, le refrain de cette chanson est celui qui accompagne la notre : « D'où venez-vous belle... ».
Bien entendu, la métrique (vers de huit pieds) et l'assonance en « a » ont pu favoriser le rapprochement texte – refrain.
J-L. A.
note
1 - Collectage réalisé par Janig Juteau, à écouter sur Dastumedia, tout comme celui de Raphael Garcia.
Interprètes : Annick Mousset, réponses : Janick Péniguel, Aurélie Aoustin, Frédérique Pipolo
Source : collecté par Raphael Garcia auprès de Lucie Rastel à St Lyphard
catalogue P. Coirault : Ne prenez point femme dans le mois de mai (05801 – maumariés)
catalogue C. Laforte : La belle femme au bal (I, F-06)
Mon père a core deux gars comme ma
D’où venez vous belle, promenez vous donc
Refrain
D’où venez vous, promenez vous, d’où venez vous belle ?
D’où venez vous, promenez vous avec ma !
Mon père a core deux gars comme ma !
Il me dit mon gars maries ta !
A donné une belle femme à ma !
Et je m’en fus aller la va !
Y avait un autre aimant que ma !
Monsieur l’marquis qui était là !
Embrassit la belle femme à ma !
Elle est à ma et pas à ta !
A foutu par la goule à ma !
Je m’en fut dans l’étable à ma !
Y avait qu’ma grande vache gare à ma !
Elle à chié sur la patte à ma !
Cà faisait d’la pommade à ma !
source: Gallica
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