dimanche 12 décembre 2021

397 - Les regrets des parents...

 Les ponts de Nantes servent de cadre à bien des aventures. Ce ne sont pas moins de 12 chansons-types qui débutent par cette formule « dessus les ponts de Nantes » (1). On s'y fait mettre en prison, on y danse, on y fait du commerce, on y tombe dans la Loire... On y voit même des oiseaux faire leur tour de chant. Cette fois c'est un cortège de noces qui emprunte le passage. Événement festif ? Que nenni, la mariée fait la gueule et ses parents pleurent !

Pour écouter la chanson et lire la suite :

Qu'ont-ils donc ces parents à pleurer tant ? Est ce parce que la jeune fille quitte trop tôt le giron familial ? Est-ce parce qu'elle épouse un homme peu recommandable ? Mais dans ce cas qui l'a vraiment choisi ? Ne serait-ce pas plutôt pour d'autres raisons bassement matérielles ? Mais avant de tenter de faire la lumière sur l'origine de leur chagrin, voyons un peu l'origine de cette chanson.

Dans nos archives il n'en figure qu'une seule version. Elle a été recueillie par Pierre Guillard dans le pays d'Ancenis. Malheureusement, elle ne permet pas d'avoir une vision complète et précise de l’histoire (2). Nous avons donc du faire appel à d'autres versions pour construire un récit cohérent. Le choix s'est porté essentiellement sur un texte champenois publié dans les ouvrages de J. Canteloube. D'autres alternatives sont offertes par les collectes réalisées dans le Poitou, entre autres par Coirault. Elles permettent de choisir entre plusieurs options et surtout d'affiner la compréhension de l'intrigue.

Le second couplet pourrait nous rappeler la situation vécue dans la chanson de la semaine passée. Mais la comparaison s'arrête là. Mariage forcé ou contre son gré ? Cela ne semble pas être le cas ou, du moins, la mariée s'en accommode facilement. Elle fait des projets d'avenir qui n'ont pas l'air de rassurer sa mère. La rumeur publique lui aurait enseigné de bien mauvaises choses sur son gendre. Nous avons déjà rencontré ce genre de discussion entre une fille et ces parents. Reportez vous à la «  fille de Saint Malo des îles » (chanson n° 32 en novembre 2013).

Les différentes versions récoltées en Poitou (3) nous donnent des détails supplémentaires. D'abord sur la composition du cortège de noces. On y voit, par exemple, des filles qui vont derrière chantant

des gars qui vont derrière houppant (criant), des hommes buvant et des femmes prêchant (disant ou médisant ?). Bref, tout un petit monde qui suit la mariée et les parents dont on apprend parfois qu'ils :

...ne pleurent pas leur fille mais ils pleurent leur argent.

Est ce parce que l'organisation du mariage leur a coûté trop cher ? Ou bien est-ce en raison de la dot qu'ils ont du verser à ce prétendant dont on n'arrive pas à savoir si c'est eux qui l'ont choisi ou s'il a séduit leur fille par intérêt. Un coureur de dot, en quelque sorte.

L'autre aspect économique à prendre ne compte c'est que pour certaines familles le soutien d'une fille compte beaucoup, surtout si c'est l’aînée. Contrairement à une idée reçue, l'age moyen du mariage dans les siècles passé était plus proche de 24 / 25 ans que des quinze ans annoncés dans la chanson. Ce qui nous vaut parfois, dans quelques versions, cette remarque :

Nous pleurons notre fille mariée à dix huit ans

Si vous en avez d'autres, gardez les plus longtemps

A tout cela pourrait s'ajouter un autre motif d'avancer la date de la cérémonie pour éviter de perdre la face, si les deux tourtereaux avaient « fêté Pâques avant les Rameaux » comme le dit l'adage populaire. Mais les textes de la chanson ne le disent pas explicitement.


Nous avons également publié cette chanson sur le site Nantes Patrimonia, avec d'autres précisions et commentaires, relatifs à la ville de Nantes et ses ponts.


notes

1 – faute de place ici, nous vous en proposerons une liste, pas forcément exhaustive, ultérieurement

2 – Ce qui était déjà le cas avec la chanson de la semaine passée, de même provenance. Mais tout ceci n'est qu'une simple coïncidence.

3 – A retrouver sur le site ou dans les publications de l'UPCP Métive, ainsi que dans les collectes de Patrice Coirault.


Interprète : Christine Dufourmantelle

source : d’après l’assemblage de trois versions :

1) recueillie par Pierre Guillard au Cellier (44) auprès de Magdeleine Hardy le 18 décembre 1988

2) publiée par Joseph Canteloube recueillie en Champagne (anthologie des chants populaires français – tome 4, page 114)

3) recueillie par Patrice Coirault (Chansons françaises de tradition orale – BnF, 2013)

catalogue P. Coirault : Les regrets des parents qui marient leur fille (Mariage, divers – N° 06013)

catalogue C. Laforte : La mère pleure aux noces (I, M-15)


1. Dessur les ponts de Nantes, sur le pont de Saint-Jean

La mariée y passe avec ces jeunes gens


2. Son père l’a mariée dès l’âge de quinze ans

Lui a donné un homme qui n’a pas d’sentiment


3. La mère s’en va derrière, s’en va toujours pleurant

Que pleurez-vous donc, mère ? Que pleurez-vous donc tant ?


4. On dit dedans la ville que ce n’est qu’un brigand

Oh, taisez-vous, ma mère, n’écoutez pas les gens


5. Oh, taisez-vous, ma mère, n’écoutez pas les gens

Nous irons en Hollande, nous serons gros marchands


6. Du fil nous irons vendre et aussi des rubans

Nous porterons la hotte, trois p’tits enfants dedans.

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