mercredi 18 août 2021

381 - La Gaité

 En cette période estivale ce sont les loisirs nautiques que nous mettons à l'honneur avec cette chanson de plaisanciers, datant d'un époque où cette occupation en était à ses balbutiements. Loin des voyages au long cours, des campagnes de pêche à la baleine ou à la morue, des combats navals sanglants qui hantent le répertoire des chants de marins, voici quelques couplets agréables et rafraîchissants. Nous délaissons l'eau salée pour celle des rivières et les vagues de l'Atlantique pour le port de Nantes

pour écouter la chanson et lire la suite :

Cette chanson, comme une dizaine d'autres, a été publiée fin 19è dans un petit opuscule édité à Nantes, pour un public averti : « le livre d'or du bord ». Malgré une diffusion confidentielle, plusieurs de ces chansons ont retrouvé un intérêt ces dernières années (1). Elles ont pour caractéristique commune d'associer activité sportive et bonne chère. Loisirs nautiques et plaisirs de la table paraissent indissociables dans ce répertoire. L'inconvénient majeur de ces publications c'est l'absence de musique. Les airs devaient être connus de ceux à qui étaient destinés ces cahiers de chants. En revanche, pour nous, à défaut d'en retrouver trace dans des collectes orales, il nous faut imaginer des mélodies collant bien aux paroles. C'est ce qu'ont déjà fait deux groupes de chants de mariniers ayant mis « la gaité » à leur répertoire : le groupe angevin Ellébore, sur le disque Balise en galarne et le groupe nantais Gabarre, sur le CD Navigant dans le port de Nantes. L'air que nous utilisons est donc, lui aussi, entièrement nouveau.

Le répertoire des chants de marins est essentiellement composé de chansons de la marine à voile ; ce qui explique la prédominance des chants rythmant le travail à bord, accompagnant les diverses manœuvres. Le souvenir des grands voiliers se perpétue à travers les exploits des équipages qui affrontent la houle et les tempêtes ou de ceux qui ont participé aux combats navals. Il est assurément plus valorisant d'évoquer les dangers du franchissement du cap Horn que de vanter les exploits des régates en dériveur !

Pourtant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, c'est à travers la plaisance et les régates que la voile a survécu. Au moment où cette chanson a été composée, les marines nationale ou de commerce ont engagé le processus qui leur fait abandonner les mats entoilés pour l'usage de la vapeur, plus fiable et performante. Le commandant Lacroix, originaire de Paimboeuf, a formidablement raconté cette période avec une foule de détails dans plusieurs ouvrages : les derniers grands voiliers, les derniers voiliers-caboteurs, les derniers baleiniers, etc, récoltant au passage plusieurs chansons liées à ces activités (2).

Les plaisanciers nantais de la fin du dix neuvième siècle ne s'aventurent pas sur les flots déchaînés. Leurs exploits sportifs ont pour cadre les plans d'eau de l'Erdre (de Barbin à Sucé...) et de la Loire en aval de Nantes. Dans le même recueil, une seconde chanson à la gloire de ce sloop énumère toute ses escales, de Trentemoult à Saint-Nazaire, en passant par Indret, Couëron, le Migron ou Mindin...Le titre en est : « Gaité forever » ; un anglicisme qui nous rappelle que les britanniques ont été des précurseurs dans le domaine de la plaisance, du yachting. C'est en effet avec cette période que la navigation n'est plus seulement considérée sous l'aspect du travail, que ce soit la pêche, le transport ou le domaine militaire. On peut désormais naviguer pour son plaisir et les paroles des couplets ne se privent pas de le faire savoir. Du moins pour une catégorie aisée de la population car cette chanson s'adresse à un public cultivé comme le suggère l'allusion finale.

Bon vent à vous, et à bientôt


notes

1 – écoutez, entre autres, « les canotiers de Loire » sur notre CD « Plaisirs de la table ». Ou encore « la régate des cinq mètres au Pellerin » et « Gueule de serpent » sur le CD « Chants des marins nantais » publié par le Chasse-Marée

2 – à propos du cdt Lacroix, écoutez La Corsairienne, chanson n° 240, mars 2018


interprètes : Francis Boissard, avec réponses de Jean-Louis Auneau et Jean-Noel Griffisch

source : paroles : « le livre d'or du bord », recueil de chansons publié à Nantes (sans musique). Musique : Francis Boissard.


De Barbin à Sucé,

De Nantes à Saint-Nazaire,

On peut dir' sans s'vanter,

Qu'y a pas sur la rivière

Un sloop comme la Gaîté,

Pour torcher de la toile ;

Y a pas d'bateau à voile

Qui puiss' la dégotter.


Refrain

Y en n'a pas deux comm' la Gaité,

Au plus près, largue ou vent arrière,

Si ‘y en a pour dir' le contraire,

Oùs-qu'y sont qu'on leur mang' le nez.


C'est pas l'tout qu'du bateau,

Faut parler d'son équipe,

Des gars qu'pas un' goutt' d'eau

Leur salit l' porte-pipe ;

Tous solid' sur leur pont,

Quand ils pès'nt sur un' drisse,

Faut qu'ça pête ou qu'ça hisse,

En avant l'foc ballon.


Les jours où la Gaîté

Fait son appareillage,

D'abord dans tout Chantenay,

Faut voir son équipage

Courir chez l'épicier,

L'boucher, la boulangère,

Et remplir chez Allaire

La touque au muscadet.


A bord tout est paré,

Allons, garçon, embarque,

L'ancre au treuil est virée,

Et la toile est étarque ;

Légèr'ment la Gaîté

S'enlèv' sur la houpette,

Et l'équipag' répète

Au son du galoubet :


Ceux qu'ont droit aux honneurs,

C'est ceux qu'ont fait l'ouvrage;

Hurrah ! pour l'armateur,

Hurrah ! pour l'équipage,

Hurrah ! trois fois hurrah !

Pour le chef de cuisine,

On s'en lich' les babines, '

De son Pange-Lingua.


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