vendredi 19 mars 2021

368 - A la promenade

 Ce soir, à la promenade, ma mignonne y viendrez vous ? ...et ne venez pas prétexter qu'avec le couvre-feu la promenade au clair de lune est compromise. Cette chanson date de bien avant la pandémie de covid ! (1)

Plus sérieusement, sous couvert d'une petite chamaillerie entre amoureux, ce dialogue, recueilli dans le Pays de Retz, a beaucoup de choses à nous dire. La lune y tient un rôle prépondérant, protégeant les amants mais laissant aussi place à beaucoup d'incertitudes, voire de sous entendus.

pour écouter la chanson et lire la suite :

Ne boudons pas notre plaisir et commençons par apprécier tout le charme de cette mélodie notée dans les années cinquante (1850 !) dans le secteur de Pornic. Un dialogue tout simple entre deux jeunes gens, alternant la prudence, voire la timidité, avec un certain laisser aller synonyme de reproches et de doutes sur la sincérité des sentiments. Une mélodie tout aussi simple et sans fioritures dont on apprécie le rythme à cinq temps, pas si rare dans les traditions de Haute-Bretagne et autres contrées limitrophes (2).

Autre précision utile : ce n'est pas par goût des liaisons dangereuses que les belles « z'hazardent » leur beauté. C'est que l'auteur du recueil a bien pris soin de noter ainsi l'interprétation. Ce n'est donc pas une coquille si on veut bien considérer que le reste du texte est en langage académique, comme d'ailleurs l'ensemble du recueil.

Essayons maintenant d'y voir plus clair sur le fond de l'affaire. Et c'est là que ça se complique. Car s'il est une chanson qui se prête à des variantes c'est bien celle la. Les textes que nous avons pu retrouver dans nos archives ou ailleurs montrent que le seul argument commun est un passage qui pourrait presque s'intituler : « au clair de la lune ». Sans vouloir jouer sur les mots, c'est moins la clarté de l'astre des nuits que l'ombre projetée qui fait débat. Tantôt la jeune fille se défend d'être accompagnée :

C'était l'ombre de la lune qui venait briller sur moi
A quoi l'amant déçu ne peut que répondre :
La lune fait point d'ombrage sans que la personne y soit

Dans notre histoire, la situation est encore plus ambiguë. Est-ce d'abord le jeune homme qui reproche à sa belle ses activités nocturnes ou celle ci qui ne veut pas être une de plus sur la liste des aventures du galant ? Une bonne raison pour l'envoyer...promener ?

Le refus d'aller à la promenade est donc le thème d'une première série de chansons, dont la notre. La promenade est un terme à double sens. Jadis, activité prisée des familles, elle pouvait être l'occasion de se montrer et de faire des rencontres ; et beaucoup plus si affinités, comme la chanson le laisse entendre. Si tout ceci nous semble bien désuet ou suranné, la question est bien plus intemporelle : sortir ensemble d'accord, mais pas à n'importe quelle condition.


L'autre série de chansons qui utilise l'épisode « lunaire » se termine sur une histoire encore plus étrange. La jeune fille y porte un nom évocateur: « Fleur d'épine, Coeur de Rose ». Derrière cette dualité entre douceur et blessure se cache une aventure tout aussi improbable qui évolue entre mariage arrangé et honneur perdu. Il y est à la fois question d'honneur, d'avantage ou de pucelage, de rose blanche...mais aussi d'argent (cent écus!). Nous ne développerons pas plus puisque notre chanson n'appartient pas à cette catégorie. Mais voyez combien une simple rencontre au clair de la lune peut entraîner de rebondissements et de versions différentes.

Enfin, sans aller jusqu'à la qualifier de fourre-tout : on trouve, de ci, de là, d'une version à l'autre des bribes d'autres chansons : 
- les garçons sont  comme les pierres, les filles comme les roses
- oh montagne que tu es haute
- Ma ceinture est trop étroite, mon cotillon ne joint plus
- etc
Mais tout ceci est une autre histoire sur laquelle nous reviendrons peut-être un jour.

notes
1 – peut être même d'époques ou la peste et le choléra agissaient avec beaucoup moins de retenue parmi les « personnes à risques ».
2 - Ceci étant précisé pour ceux et celles qui imaginent encore que ce rythme à cinq temps serait réservé à des folklores situés beaucoup plus à l'est.

interprète : Jean-Louis Auneau
source : cahiers du ménétrier Poiraud, de Pornic compilés par Michel Gauthier sous le titre « 80 chansons du Pays de Retz » 
catalogue Coirault : Fleur d'épine, fleur de rose ou Celle qui ne veut pas aller à la promenade (0709 – sages, prudentes) ;
catalogue C . Laforte :  Je m'en irai en promenade ( III, B-16)

1) " Ce soir, à la promenade. ( bis )  
Ma mignonne y viendrez vous ? ( bis )  
 
2) - Non, non, monsieur car je n'ose. ...  
Aller seulette avec vous. ...  
 
3) - Il en est bien venu d'autres. ... 
Qu'étaient plus belles que vous. ...  
 
4) - Qu'étaient plus belles à la lune. ...  
Que vous l'êtes au grand jour. ...  
 
5) - Puisqu'elles étaient donc si belles. ...  
Elles hazardaient leur beauté. ...
 
6) - Moi qui ne suis pas si belle. ...  
Je n'ose m'y hazarder. ...  
 
7) - Vous mentez petite sotte. ...  
Je vous ai vue l'autre jour. ...
 
8) - Dans les bras d'un bel homme. ...
Votre amant auprès de vous. ...  
 
9) - Qui vous dit bas dans l'oreille. ...  
Ma mignonne m'aimez-vous ? ... 

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