Quelle belle histoire ! Une de ces aventures romanesques à faire pleurer dans les chaumières, avec ce qu'il faut de drame, de bons sentiments, de résignation feinte, d'amours impossibles et de volonté farouche. Pour couronner le tout, une fin heureuse (1) qui offre au scénario un rebondissement final aussi inattendu...qu'attendu. L'affaire semblait mal engagée quand arrive ce sursaut final tant espéré. Installez vous confortablement dans vos fauteuils ; la lumière s'atténue dans la salle et voyons maintenant ce qu'on nous propose à l'écran.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Les critiques les plus sévères pourraient fort bien reprocher à cette chanson d'aligner tous les poncifs du genre. Mais le succès d'un pareil texte à une époque où chacun devait se faire, dans son imagination, son propre cinéma, prouve que cette comédie dramatique est une réussite. Elle a d'ailleurs bien été diffusée dans toutes les provinces où elle correspondait aux goûts du public d'alors (2).
Point de départ du scénario : le jeune homme est parti pour la guerre. Habituellement c'est le chiffre sept qui définit une longue absence, même si la réalité était tout autre. Ici, le combattant bénéficie d'une réduction : « six ans tout au plus ». Le récit débute à la première personne : c'est la jeune fille qui raconte son histoire. Mais dès le deuxième couplet, la suite est confiée à un narrateur qui fait parler tour à tour les différents personnages.
Le retour du soldat laisse encore entrevoir des possibilités. Combien de chansons ne nous ont-elles présenté une mie morte et enterrée ou, plus fréquemment lassée d'attendre et mariée à un parti moins romantique mais plus fortuné. Notez bien que la belle est entrée au couvent « pour l'attendre ». Ceci peut expliquer bien des attitudes par la suite.
Les épisodes suivants mettent en scène tour à tour et selon un rituel convenu : les parents de la fille, la supérieure du couvent et les autres nonnettes, par ordre d'apparition à l'écran. On frappe « trois petits coups » à la porte du couvent des ursulines pour s'entendre refuser la visite : elle y est, elle y reste. Alors commence à se mettre en place la ruse qui permettra de réunir les deux amants. Dans les mêmes circonstances on a vu de jeunes galants se déguiser en jardinier pour arriver à leurs fins (3). Le beau militaire a décidé de jouer sur la corde sensible. Il supplie qu'on lui laisse parler une dernière fois à sa bien aimée avant qu'il ne meure. Étrange façon de présenter sa requête car la chanson n'a jamais dit qu'il revenait de guerre « tenant ses tripes dans ses mains » comme un certain Renaud. Ni même qu'il allait repartir au combat pour oublier sa déconvenue. Encore moins qu'il allait se laisser mourir de chagrin, d'inanition ou de maladie. Quand au suicide n'en parlons pas c'est un sujet hautement tabou dans la poésie populaire.
Alors ? Qui est dupe du stratagème ? La mère abbesse se laisse attendrir. La belle émet quelques reproches. Ou bien tend elle une perche à son amant ? C'est un anneau que celui-ci lui tend. Un objet fortement symbolique dans les chansons. Brisé, il permet aux amants de se retrouver. Intact il est le gage d'un amour que rien ne pourra empêcher.
Dernier acte, en remettant l'anneau l'amant simule la mort. Ce n'est pas la première fois que dans une chanson traditionnelle on utilise le procédé pour se sortir d'une situation compromise. La belle qui fait la morte « pour son honneur garder » est dans toutes les mémoires.
Voilà qui peut nous faire dire que la jeune fille n'est pas du genre à se laisser duper. Elle est entrée au couvent de son plein gré, elle a accepté le cadeau de son amant, et voilà maintenant qu'elle se propose de l'ensevelir elle-même. Bien joué ! L'enguirlandage de fleurs n'est pas sans rappeler la ruse de l'amant jardinier. La fin est un modèle du genre. Le beau galant monte sa bien aimée sur son fidèle destrier (4) et par vers de nouvelles aventures dans le soleil couchant.
L'orchestre joue plus fort, le mot Fin
(1) apparaît sur l'écran et les lumières se rallument tandis que
se déroule le générique de fin (voir ci-dessous).
Cette façon
de voir les choses n'est bien entendu qu'une interprétation
s'éloignant un peu du premier degré. Mais, vous nous connaissez,
c'est rarement le style de la maison. Rêvons un peu, ça fait du
bien.
notes
1 – cette fois on ne vous le fait pas à l'américaine. On est suffisamment gavés avec les Halloween mercantiles et autres black friday.
2 – De quand ? N'attendez pas de nous que nous dations avec précision ce type de chansons. Vous savez bien : jadis, autrefois, naguère, etc.
3 – voir sur ce blog : le jardinier du couvent – chanson n° 289 de mars 2019
4 – bien sur, bien sur, rien ne le dit dans la chanson. Mais de toutes façons, à cette époque on n'avait pas encore inventé la Kawasaki 750.
interprète : Janick Péniguel – enregistrement en public à la Finale de la Bogue le 25 octobre 2020, à Redon.
Source : Mmes Gicquiaud et Rouillé, de Beslon (la Baule) enregistrées par Joseph Gervot
catalogue P. Coirault : l'amante qui s'est faite ursuline (3720 – retours de l'amant soldat)
catalogue C. Laforte : II,I-12 – le retour du soldat : sa belle au couvent
Fillette, fillette de 15 ans,
Me voilà seule et sans amant
Il est parti pour Lille en Flandres
Rejoindre son beau régiment
Et moi fillette pour l’attendre
Je m’en irais dans le couvent
Au bout de six ans tout au plus
Le beau galant est revenu
Droit à la porte à son beau père
Trois petits coups s’en va frappant
Demande à parler à la belle
Celle que son cœur aime tant
Celle que ton cœur aimait tant
Elle est rendue dans le couvent
Dans le couvent des Ursulines
Où l’on ne vit qu’en languissant
Son âme est d’une humeur chagrine
C’est de ne plus voir son amant
Le garçon sur ce discours là
Tout droit au couvent s’en alla
Trois petits coups frappe à la porte
Trois petits coups s’en va frappant
Demande à parler à une sœur
La plus jeunette du couvent
La mère abbesse du couvent
Lui dit retirez-vous garçon
Cessez vos pleurs, cessez vos larmes
Ici n’entrent pas les amants
Celle qui pour vous à des charmes
Ne sortira pas du couvent
L’amant lui a dit par trois fois
Je viens du service du roi
Puisqu’elle y est faut qu’elle y reste
Au couvent, soumise à vos lois
Mais auparavant que j’y meure
Faites –la moi voir une fois
Voyant le galant fondre en pleurs
On fît venir la jeune sœur
Les yeux baissés versant des larmes
Les yeux baissés versant des pleurs
Disant si je suis religieuse
C’est vous monsieur qu’en êtes l’auteur
L’amant parle encore une fois
Ma sœur donnez-moi votre doigt
Cet anneau d’or je vous le donne
En guise de ma bonne foi
Jamais je n’aimerais personne
La belle souvenez vous de moi
Tout en lui passant l’anneau d’or
Le beau galant est tombé mort
Toutes les sœurs qui le regardent
Toutes les sœurs plaignent son sort
Disant j’ons connu la tendresse
De ton amant avant sa mort
Puisqu’il est mort mon cher ami
C’est moi qui va l’ensevelir
Apportez moi un drap de roses
Je vais l’enguirlander de fleurs
Aussitôt l’amant se relève
A enlevé la jeune sœur
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