vendredi 13 avril 2018

244 - Ce sont trois jeunes capitaines


Comme tous les enfants qui ont entendu pour la première fois le thème de cette chanson, vous vous êtes apitoyés sur le sort cette fille « vilaine » rejetée par un capitaine. Puis vous avez compris que ce n'était pas sa laideur supposée que désignait ce terme mais son statut social. La vilaine est simplement une femme du peuple, une roturière, par opposition à la noblesse. Un grand mystère entoure le sort de cette femme, lié à la floraison d'un bouquet de marjolaine : si elle flétrit je serai vilaine – si elle fleurit je serai reine !
Le chant scolaire a beaucoup fait pour la popularisation d'une version particulière, avant la grande guerre. Cette chanson type ne date pas de la troisième république. Elle a connu une longue histoire que nous allons essayer de résumer sans trop simplifier.
pour écouter la chanson et lire la suite :

Comme l'a fort bien raconté Claude Duneton dans son Histoire de la Chanson française (1) la grande popularité de cette chanson doit beaucoup à l'esprit revanchard qui animait nos aïeux avant la première guerre mondiale. En passant par la Lorraine sert opportunément dans une période où la reconquête de cette province perdue était un objectif majeur. Elle est donc choisie en 1885 par un comité de décideurs (2) pour figurer, entre autres, dans les manuels scolaires préparant au certificat d'études. Elle devient également très présente, comme marche, dans le répertoire militaire
Dès avant cette date, une autre version a connu un regain d'intérêt, pour une toute autre raison. Vers 1880, Adolphe Orain a collecté, entre Bain de Bretagne et le Grand-Fougeray, un texte similaire. Ici pas de Lorraine ; la chanson débute par En revenant de Rennes. Orain se permet de transformer la chanson et d'y ajouter des couplets. Ainsi se popularise dans les milieux bretons l'histoire d'Anne de Bretagne, duchesse en sabots. Cette image n'a rien d'une réalité historique, mais elle devient très vite populaire.Voilà pourquoi il est désormais très difficile de retrouver des versions de cette chanson qui n'aient pas été au moins contaminées par ces deux sources de revitalisation de la fin du 19ème. C'est ce qui fait tout l'intérêt de celle que vous écoutez, venant du répertoire de Mme Rastel, en presqu’île guérandaise. Ni Rennes ni Lorraine pour situer l'action, mais une utilisation des landes et des buissons pour aller faire des galipettes derrière les dolmens. L'assonance est respectée. Pourtant on ne peut s'empêcher de faire le rapprochement avec la chanson rebâtie par Orain, avec la duchesse Anne Revenant de ses domaines !
Remontons plus loin dans le temps. Certains se hasardent à dater la popularité de cette chanson à l'époque de Henri III qui, malgré la réputation que lui ont fait ses détracteurs, a eu plusieurs maîtresses et de nombreuses conquêtes féminines avant comme après son mariage avec Louise...de Lorraine, en 1575. Pourtant tout porte à croire que la chanson était bien antérieure. Les premières versions sont imprimées par Jacques Arcadelt (1561) et Roland de Lassus (1564) avec pour refrain : Margot labourez les vignes. Qu'importe la date exacte ; comme beaucoup de chansons celle ci a fait son chemin dans la tradition orale. Les collectes du dix neuvième siècle – antérieures à la diffusion scolaire - nous en apprennent beaucoup sur cette appropriation.
Il est intéressant de constater qu'avant la généralisation de l'hymne à la Lorraine, les chanteurs de tradition ne se sont pas gênés pour situer la chanson dans des contextes différents. Pour s'en convaincre il suffit d'énumérer quelques uns des incipits les plus fréquents :
En revenant de la Lorraine ou En passant par la Lorraine - En m'en revenant de Rennes - En revenant d'Angoulême - En revenant de l'Ardenne - C'est en passant par Varennes - En revenant de Sainte Hélène (ces deux derniers prouvent que la chanson a connu tous les régimes), mais aussi : Me promenant dans la plaine - J'ai rencontré dans la plaine - Un de ces jours je me promène ou Tous les jours je m'y promène - En allant (ou en revenant) à la fontaine...
Après le premier vers voyons maintenant les refrains. Les sabots y sont assez présents avec le plus connu : Oh, oh avec mes sabots et beaucoup de ritournelles similaires à Mes sabots, la ridondaine. Mais on trouve fréquemment Cache (ou tire) ton joli bas de laine, sans oublier Margot, labourez les vignes, ainsi que de manière plus anecdotique des Mon compère Jacquot, ou Comme le vent va l'hirondelle et même un Vive l'homme de Saint Hélène qui confirme ce que nous avons vu précédemment, d'autant qu'il sert de refrain à une chanson d'origine différente.
Ce qui caractérise le mieux cette chanson, en dehors des capitaines et de la fille appelée vilaine, c'est l'offrande d'un bouquet de marjolaine qu'on retrouve dans quasiment toutes les versions. Un cadeau de peu de valeur mais sans doute hautement symbolique. Conrad Laforte (3) n'y voit « qu'une boutade, puisque cette fleur symbolise le mensonge et la tromperie selon ce que rapporte Rolland dans sa Flore populaire ». C'est une plante aromatique connue pour soigner les troubles digestifs. A-t-elle aussi des vertus pour les maux d'amour ou des propriétés divinatoires ? Pour ses cadeaux, le fils du roi n'est pas toujours aussi pingre et la liste s'allonge à chaque chanson avec :
une bourse d'écus pleine – une robe en satin de laine - trois grains de blé, autant d'aveine - une poupée de laridondaine - un joli violon d'ébène dont je joue sept fois la semaine, et pour les fleurs : une rose de marjolaine - un beau bouquet d'éternelles - un gros pot de marjolaine - un joli pied de verveine
La marjolaine est d'ailleurs souvent remplacée par la verveine dans les textes entendus en Bretagne.
Toujours est-il que si la plante fleurit ce sera le signe de l'admission de la vilaine au plus noble destin :
je l'ai planté sous un chêne, s'il reprend je serai reine
Et alors malheur au galant qui a refusé la fille sous prétexte de sa basse extraction. Devenue reine elle se venge : Tu ne me diras plus vilaine et même : je ferai pendre les capitaines !
On pourrait écrire un livre entier sur cette chanson, aussi en resterons nous là. Bonne écoute.

notes
1 – Histoire de la chanson française – Claude Duneton – Seuil 1998 – voir tome 2 page 913
2 – auquel ont collaboré des folkloristes comme Gaston Paris et Julien Tiersot
3 – Survivances médiévales dans la chanson folklorique – Conrad Laforte – Presses de l'université Laval - 1981

interprètes : Béatrice De Noue, Annick Mousset, Isabelle Maillocheau, Chantal Choimet
source : Lucie Rastel de Kerbourg St Lyphard collecte de Raphaël Garcia le 28 novembre 1981
catalogue P. Coirault : En passant par la Lorraine (Bergères et rois – N° 03802)
catalogue C. Laforte : En passant par la Lorraine (I, G-11)

Ce sont trois jeunes capitaines (bis)
Qui s’en vont voir les dolmens, derrière un buisson
Ton p’tits cœur mignon, la belle
Ton p’tit cœur mignon

Qui s’en vont voir les dolmens (bis)
Ont emm’née belle Madeleine, derrière un buisson…

… L’un n’a pris, l’autre qui l’emmène…

… L’autre qui m’y traite de vilaine…

… Je ne suis pourtant pas vilaine…

… Car le fils du roi, il m’aime…

… Il m’a donné un bouquet de marjolaine…

… S’il fleurit, je deviens reine…

… Il a fleuri de verveine.

2 commentaires:

  1. Qui sont les trois capitaines dans la chanson?

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  2. Personne ne le sait. Ce qui est important ce n'est pas leur nom mais leur statut social. Nous sommes ici dans ce type de chansons ou une fille du peuple (bergère, jardinière...) est en présence de galants d'une classe "supérieure" (prince, capitaine...). Le fond de l'histoire tient à cette différence. Et, comme dans beaucoup de chansons, les personnages vont par trois.

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