vendredi 2 décembre 2016

178 - Gentil bon gars

Voilà un amoureux qui ne sort pas sans précautions pour aller voir sa belle. Il est armé jusqu'aux dents. Ce « gentil bon gars » ferait il partie des gens dont ont dit qu'ils sont « braves » avec une connotation péjorative ? Cela n'est pas dit explicitement mais une comparaison avec les autres rares occurrences de ce texte nous fait découvrir des qualificatifs allant de peureux à fragile pour définir son attitude. Notre chanson, qui fait l'impasse sur ces détails, vient du Pays de Retz et plus précisément de Pornic, où elle a été notée il y a plus de cent ans. Elle a disparu des collectes plus récentes. Raison de plus pour s'y intéresser en détail ; ce que nous allons faire maintenant.
Pour écouter la chanson et lire la suite :


Si cette chanson est assez peu présente dans la tradition, nous avons tout de même pu tracer son origine, à défaut de savoir par quel cheminement elle a été adoptée dans le pays de Retz. Car ce n'est pas une mais deux versions qui ont été repérées au 19ème siècle dans le secteur de Pornic. Outre celle-ci extraite du manuscrit Poiraud, nous recopions aussi celle adressée à Armand Guéraud (1) par un de ses informateurs, M. Bellanger, de Pornic. Le début de la chanson est identique mais à partir du « qui vive » l'histoire est plus complète. Vous en trouverez donc les paroles après celles que nous interprétons.
A la même époque, Jean-Baptiste Weckerlin publie son ancienne chanson populaire en France (16e et 17e siècles). A la page 122 figure le texte de « Entre vous gentils galands » qui pourrait être le texte originel de cette chanson (2). Il vient du Parnasse des muses, publié en 1627 (3). Nous vous en donnons également le texte intégral après ceux du Pays de Retz.
Notre version suit assez fidèlement le texte de 1627, hormis les derniers couplets sur le mariage. Si nous mettons au conditionnel cette filiation c'est que certains détails de la version Bellanger semblent provenir d'une autre source, comme vous pourrez le constater vous même. Il s'agit justement des reproches adressés par la jeune fille au sujet de la couardise du galant.
Patrice Coirault, dans son répertoire des chansons de tradition orale donne lui aussi une trame où l'argument principal se rapporte aux « garçons trop fragiles ». Il se base sur un chant venant du nord de la France (4). En résumé :
...C'est pas l'affaire à ces garçons - de se moquer des filles
Mais c'est l'affaire à ces garçons - d'aller à la soirée
Avec l'épée à leur coté - En demandant qui vive
Vive Paris et Rouen - Vive la Normandie
Vive le château de mon père - Là où j'ai été nourrie
Manger du pain et boire du vin - Coucher avec ces filles
et aussi
J'ai des biscuits dans mon carnier - pour donner à ces filles
Mais ces garçons n'en auront pas - car ils sont trop fragiles
Voilà donc une affaire plus compliquée qu'il n'y paraît. Les deux versions pornicaises ont été adaptées à la localité : Vive Pornic la jolie ville. Mais les deux histoires n'ont pas le même dénouement ou la même morale. L'une insiste sur l'aspect des bons enfants qui vont voir les filles. Dans l'autre, ces bons enfants se prennent un râteau en raison de leur manque de courage.
Quoi qu'il en soit cette chanson mérite d'être sortie de l'oubli. Le manuscrit de M. Poiraud ne la donne pas comme chant à répondre, mais rien n'interdit de le faire. A vous d'en décider.

Notes
1 - page 512 dans Chants populaires du comté nantais et du Bas Poitou recueillis entre 1856 et 1861 par Armand Guéraud – publication FAMDT 1995 -
2 - l'ancienne chanson populaire en France de J.B. Weckerlin – Garnier Frères à Paris 1887 – disponible sur Gallica, le site de la BnF
3 - Le Parnasse des muses, ou Recueil des plus belles chansons à danser: Recherchées dans le cabinet des plus excellens poëtes de ce temps. Dédié aux belles dames – chez Charles Hulpeau à Paris 1627
4 - Albert Meyrac – Traditions coutumes, légendes et contes des Ardennes... Charleville 1890

interprètes : Jean-Louis Auneau avec Daniel Lehuédé, Jean Auffray et Dominique Juteau
source : quatre vingt chansons du Pays de Retz, cahier de chansons du ménétrier Poiraud, compilé par Michel Gauthier
catalogue P. Coirault : 02416 – les garçons sont trop fragiles (moqueries)

Gentil bon gars

Entre nous gentil bon gars
Gai lan lire lire la lira
Lon lan la
Qu'allez voir les filles - la
Lon lan la
Qu'allez voir les filles

N'allez donc pas sans bâton
Car on vous épie

Le beau galant n'y manqua
Porta son épée

Son bâton dessous son bras
Sa pipe allumée

Il s'en va sur ses remparts
Il cria qui vive ?

Vive Paris et Rouen
Pornic la jolie

Où il y a de bons enfants
Qui vont voir les filles

Je ne parle pas pour moi
La mienne est acquise

Je parle pour mon voisin
Qui en a envie

2 - Version communiquée par M. Bellanger, de Pornic, à Armand Guéraud

Entre vous gentil bon gars
Gai lan lire lire la lira
La lan la
Qu'allez voir les filles – la
La lan la
Qu'allez voir les filles

N'y allez pas sans bâton
Car l'on vous épie

Le galant n'y manqua pas
Porta son épée

Son pistolet sous son bras
Sa pipe allumée

Quand il fut sur les remparts
S'écria qui vive ?

Bien vite on lui répondit
D'une voix moqueuse

Vive Paris et Bordeaux
Pornic la jolie

Où les garçons sont galants
Les filles sensibles

Où il y a de bons enfants
Qui vont voir les filles

Mais pourquoi ce gros bâton
Pourquoi cette épée

Et surtout ce pistolet
Dont je vois la poignée

Un beau galant si peureux
Ne plaît pas aux filles

Retirez vous beau galant
Retirez vous vite

Qu'on s'est bien moqué de vous
Comme vous faites rire

Le galant peu courageux
Ne cours plus les filles

3 - Texte cité dans l'ancienne chanson populaire en France de Weckerlin, p 122, extrait du Parnasse des muses de 1627

Entre vous gentils galands
Qui avez belle amie,
N'allez point sans vos bâtons,
Lan lon fa, lan farlarira,
Car on vous épie.

Le galand n'y manqua pas,
Portit son espée.

L'arquebuse sous son bras,
La mèche allumée.

Quand il fut dessus le pont,
Demanda qui vive.

Vive Paris, vive Rouen,
Sont deux bonnes villes.

Vive ces gentils galands,
Qui auront belle amie.

Je ne le dis pas pour moy,
La mienne est jolie.

Je le dis pour Nicolas,
Qui est de cette ville

La sienne est malade au lit,
De mélancolie.

Je croy bien qu'elle en mourra,
S'on ne la marie.

Son père a juré Saint-Lambert,
Et Sainte-Marine.

Et qu'il la marira,
Avant six semaines.


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