vendredi 29 janvier 2016

137 - C’était par un beau soir

Nous avons entendu à plusieurs reprises cette version du « galant qui voit mourir sa mie », dans le pays de Guérande. Elle représente une évolution de ce thème ou l'amant court chercher le médecin qui ne pourra sauver sa belle. Ce mélodrame inclut habituellement un passage où
Elle a tiré sa blanche main du lit
Pour dire adieu à son ami
Le galant, inconsolable, à qui ont fait remarquer :
N'y a-t-il pas d'autres filles en Nantes
N'y a-t-il pas la fille du président
qui a de l'or et de l'argent
répond invariablement :
J'aimerais mieux ma mie nue en chemise...
Notre version locale a un peu simplifié le scénario et y ajoute des expressions parodiques qui prêtent plus à sourire qu'à pleurer. En plus, une question demeure sans réponse : mais qui est donc ce médecin de Nantes, si présent dans les chansons traditionnelles ?
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« C'était par un beau soir ». Dans une majorité des autres versions de cette chanson c'est le matin que le galant s'est levé, plus matin que la lune. Dans nos contrées, les visites aux jeunes filles se font plutôt le soir (après le turbin) que le matin à la fraîche. Mais là n'est pas la seule différence d'une version ou d'une région à l'autre. Dans l'ouest on va chercher le médecin de Nantes ou de Paris. En fonction de l'origine des informateurs le médecin appelé peut se trouver à Rennes, à Josselin, à Fontenay (le Comte – 85). Ailleurs, ce n'est pas toujours Paris ou Nantes qui ont la préférence. Dans les Alpes, suisses ou françaises, on va chercher celui de Rome. Au Canada, si celui de Nantes n'est pas disponible c'est son confrère de Londres qui est sollicité (Y'avait pas plus près?).
Cette chanson type n'est pas la seule où le « grand médecin de Nantes » vient au chevet de la belle. Il y a toutes ces histoires où elle se casse la jambe soit en recevant mal une orange, soit en allant cueillir des roses blanches. Si Paris ou Nantes sont souvent des noms commodes pour les rimes ou les assonances, cela n'explique pas tout. En particulier dans notre chanson.
Qui est donc cet illustre praticien qui vient au secours des malades ? Un nom vient à l’esprit : celui de René Laennec qui inventa l’auscultation avec le stéthoscope.
Oui mais...Laennec est né à Quimper en 1781. Orphelin très tôt, il a été recueilli par un oncle, Guillaume Laennec, médecin à Nantes, professeur et directeur de l'école de médecine, qui semble à l’origine de sa vocation médicale. Il effectue ses études à Paris où il exerce jusqu’en 1826 où la tuberculose met fin à sa carrière. René Laennec n’a donc jamais exercé à Nantes. Son oncle Guillaume, si. Aucun autre médecin nantais ne paraît avoir atteint cette célébrité.
Autre incertitude : toutes ces chansons semblent d’une facture plus ancienne que le début du 19ème siècle. Si certaines situations pourraient avoir un rapport avec les méthodes d’auscultation qui ont fait faire d’indéniables progrès à la médecine, une majorité de textes font référence à une jambe cassée. On n’est guère plus avancés. La première grande cueillette de chansons populaires et folkoriques a eu lieu dans la seconde moitié du 19ème siècle, plutôt vers la fin. La réputation d’un médecin « nantais » a-t-elle eu le temps de se greffer sur des textes précédents ?
Si vous avez une autre explication sur la présence de ce « médecin de Nantes » dans les chansons et sur son origine, merci de nous en faire part. Ce ne sera pas remboursé par la sécu, mais pourrait être utile quand même.
Pour en revenir à notre chanson, elle n'est sans doute pas le meilleur modèle du type ni le plus complet. Ecoutez celle interprétée par Clémentine Jouin sur le CD que Dastum vient de lui consacrer dans la collection « grands interprètes de Bretagne » ; ou encore la version de Mélanie Houedry sur le double CD grandes complaintes de Haute Bretagne ou celle enregistrée sur le CD de l'association l'Epille consacrée aux répertoires d'Augan et Campénéac...
Quand à l'informateur qui a communiqué cette chanson, il enseignait la bombarde aux jeunes du pays de Guérande. C'est très probablement « sa » version. Il lui arrivait parfois de remplacer le terme maîtresse par gonzesse. La rime et l'assonance n'avaient pas à en souffrir ; la poésie, si.

Interprète : Roland Guillou
source : Chanté par Henri Lagadec de Guérande en 1970
catalogues : Coirault : 1405 – le galant qui voit mourir sa mie - Laforte : II, A-12 – le galant qui voit mourir s'amie

C’était par un beau soir, j’allions voir ma maîtresse
J’allions la voir, croyant m’y réjouir,
Je la trouvai en train d’périr

Arrivé d’vant sa porte, trois petits coups je frappe
Ouvrez, ouvrez, la belle si vous m’aimez,
C’est vot’n’amant qu’est arrivé

N’amant, mon pauv’ n’amant, comment veux-tu que j’t’ouvre
Je suis ici, cloutée dessur mon lit
Je suis ici en train d’périr

Fallut aller chercher un médecin à Nantes
Bonjour, bonjour, monsieur le médecin,
Y a ma maîtresse qui va pas bien

N’amant, mon pauv’ n’amant, t’en trouveras bien d’autres
Là qui auront des ors et des argents
Peut-être aussi des diamants

Je ne veux point d’ces ors ni d’ces argenteries
Ce que je veux, monsieur le médecin
C’est ma maîtresse qui va pas bien.


1 commentaire:

  1. Même version, presqu'île de Rhuys, 1972 ("périr" remplacé par "crevir"):

    Au premier jour de l’an, j’allions vouër mon gonzè-esse. (bis)
    J’allions la vouër croyant me réjou-ir,
    Voilà qu’j’la trouve prête à crevir. (bis)

    Tra la la la lo, la la lo, la la lé lo na,
    Tra la la la lo, la la lo, la lé no. (bis le refrain)

    Arrivé chez ma belle, j’frappions de cont’ son po-orte. (bis)
    Ouvrez ouvrez la belle si vous m’aimez,
    C’est votre amant qu’est arrivé. (bis)

    Amant mon pauvr’ amant, comment veux-tu que j’t’ou-ouvre. (bis)
    Je suis t’ici cloutée de cont’ mon lit,
    Je suis t’ici prête à crevir. (bis)

    Il faut aller quérir la médecin de Nan-antes. (bis)
    Venez venez Monsieur la médecin,
    Y a mon gonzesse qui va pas bien. (bis)

    La médecin arrive, ô [= avec] tout son attira-aille. (bis)
    Je voué je voué ce qui y a là dedans,
    C’est son boyau qui fout le camp. (bis)

    Amant mon pauvr’ amant, t’en trouv’ra une plus ri-iche. (bis)
    Une qui aura des ors et des argents,
    Et maintenant je vais crevir. (bis)

    Je ne veux point des ors ni des argenteri-i-es. (bis)
    Ce que je veux, ce que j’veux maintenant,
    C’est mon gonzesse que j’aime tant. (bis)

    (Le refrain joyeux, bas-breton, a été donné par des scouts antillais qui utilisaient cette version ainsi contrastée "triste-joyeuse", "lente-rythmée", et rapporté par un jeune animateur Malien, aujourd'hui professeur au Mali)

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