Tout va par trois dans les chansons traditionnelles ; nous l'avons constaté à maintes reprises. Les cavaliers n'échappent pas à la règle. Dans ce trio fort bien monté (équipé ?) il y a pourtant quelque chose qui cloche : Deux à cheval et l'autre à pied. Cette précision ironique suffit à nous faire comprendre que l'affaire n'est pas sérieuse. Nous ne tenons pas là une histoire dramatique ; l'écoute de cette chanson va nous le confirmer.
Pour écouter la chanson et lire la suite
Saillé, village de la commune de Guérande, au cœur des marais salants, s'est fait une place dans la chanson. Vous l'aurez sans doute remarqué en parcourant ce blog (1). Comme de bien entendu, l'air de notre chanson sert a faire danser le « bal paludier ». Tous les enregistrements originaux de cet air, disponibles sur Dastumedia, ont pour origine le même informateur : M. Pierre Tartoué, de Saillé. Cependant, avant que ce bal paludier ne soit largement popularisé, le pays guérandais en connaissait d'autres versions. Ainsi, Fernand Gueriff reprend-t-il dans ses ouvrages celle notée au 19è siècle par Gustave Clétiez, dans le même secteur, et qui débute par :
M'en revenant du pays d'Angers
Voilà pour la presqu'ile guérandaise mais qu'en est-il ailleurs ? Les exploits de ces trois cavaliers semblent peu connus au delà de l'ouest, particulièrement la Haute-Bretagne. En revanche, c'est par dizaines qu'on en trouve des exemples au Canada, des bords du Saint Laurent jusqu'au Saskatchevan. Le bourg de Saillé n'y ayant pas encore acquis de notoriété, c'est le plus souvent de la Vendée que viennent nos trois gaillards. Si on récapitule leurs origines, des deux cotés de l'Atlantique, on débute la chanson par : M'en revenant...de la Vendée, mais aussi de saint André, du pays d'Angers, de Chantonnay, de Guémené, de Saint Brieuc, de Saint Astier, ainsi que m'en revenant de boulanger, de pesseler (2). Pourtant, aujourd'hui c'est bien la version du pays paludier qui est la plus connue, faisant de Saillé et de son voisin Trégaté, des hauts lieux de la chanson trad.
Laissons de coté cet incipit pour nous intéresser à la trame de cette histoire à géométrie variable. Le nombre de couplets retenus ici est souvent dépassé. Ces suppléments de texte se répartissent en deux catégories : les fins heureuses et les fins ridicules. Dans le premier cas soit les cavaliers sont rassasiés de bonne nourriture, soit ils trouvent logement dans une maison où il y a
De beaux lits pour se coucher
Et de belles filles à nos cotés
C'est souvent le cas de versions québécoises, mais également avec celle obtenue par Fernand Gueriff du cercle des paludiers de Saillé en 1953. On y loge « chez Jean Denier » ou peut-être « chez la Macé » En tous cas c'est un endroit
Là où il y a des filles assez
Et qui sont bonnes à marier
L'autre façon de conclure l'aventure consiste à tourner en ridicule les trois lascars. Des pattes de mouches bien fricassées pour le diner, et pour le coucher ça se gâte encore :
Tu coucheras dans le poulailler,
avec la promesse d'une nuit agitée :
Sur toi toutes les poules vont chier
ou encore
Des grosse oies pour te picocher
La raison de cette infortune est sans doute à rechercher dans leur condition sociale. Bien des versions désignent le cavalier sans monture sous le vocable de franc-cavalier. Ce terme signifie, à priori qu'il est affranchi du paiment de charges, comme la taille. Il est surtout péjoratif, désignant un personnage qui n'a pas les moyens de son état. On retrouve cette construction lexicale avec le franc-bourgeois et le fameux franc-archer, objet d'une chanson satirique à la fin de la guerre de cent ans.
Le titre générique donné à cette série de chansons – les cavaliers fort bien montés – renforce cette idée qu'ils sont en fait bien mal équipés. Dans la version donnée par G. Clétiez, on apprend que
Chez ton hotesse du pays d'Angers
Ton beau cheval est demeuré
C'est à dire qu'il a du laisser sa monture en gage pour pouvoir payer ses dettes.
Une autre chanson du pays nantais, recueillie par Armand Guéraud précise encore :
Aussi la bride pour le brider
Ton éperon d'or pour l'éperonner
Tout ça vaut mieux que ton denier
Un denier c'est ce que devait lui couter le « plantureux repas » promis chez l'hotesse.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette histoire. Enumérer tous les refrains qui l'agrémentent serait bien trop long. Signalons que la seconde moitié de la chanson dérive parfois sur un dialogue amoureux où pour se débarasser du cavalier trop empressé, une fille réplique :
J'entends mes enfants m'appeler
vous connaissez déjà la réponse :
Taisez vous la belle vous mentez
Jamais d'enfant n'avez porté...etc
Cessons de nous apitoyer sur le sort des cavaliers. L'essentiel c'est d'avoir une belle chanson pour danser le rond paludier.
J-L. A.
Notes :
1 – cf chansons n°232 (01/2018) le moulin de Saillé et n°309 (09/2019) Les filles de Saillé ; sans oublier les compositions de François Tuard, curé de Saillé, auteur de quatre livrets de chansons.
2 - Pesseler : vieux langage qui désigne le fait de dresser des échalas pour soutenir une culture, la vigne par exemple
interprètes : Yannick Elain , réponses : Roland Guillou, Hervé Crusson, Nicolas Largy
source : Collecté par Joséphine Legal auprès de Pierre Tartoué, de Saillé
catalogue P. Coirault : Les cavaliers fort bien montés (0704 - sages, prudentes)
catalogue C. Laforte : I, P-1 – Trois cavaliers fort bien montés
C'est sur la route de Saillé (bis)
Là où l’y a, laridondaine
Trois cavaliers, laridondé
Là ou l’y a trois cavaliers
Deux à cheval et l'autre à pied
Celui de pied à demandé
Où irons nous ce soir coucher
Chez la Macé à Trégaté
Que nous donnera t-elle a manger
Des pattes de mouches ben fricassées
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